Hier, lorsqu'elle affrontait une armée de journalistes dans le local exigu de Vision Montréal, Louise Harel a peut-être eu une pensée pieuse pour son adversaire, Gérald Tremblay.

C'était à son tour de défendre l'intégrité de son parti, de jurer qu'elle ne savait rien et qu'elle lavait plus blanc que blanc.

 

Il y avait un monde fou: des journalistes, des photographes, des cameramen. Tous présents pour écouter les explications de Mme Harel. Pourtant, c'était dimanche, le temps était magnifique et le soleil éclaboussait les rues de la ville.

Mais la douceur de l'air était la dernière préoccupation de Mme Harel. À deux semaines du scrutin, elle essayait de sauver son image: celle d'une femme qui est entrée en politique pour faire le ménage à l'hôtel de ville. Ironiquement, c'était dans son propre parti qu'elle devait passer le balai.

Pour sauver sa réputation, elle a sacrifié son bras droit, Benoit Labonté, l'ancien chef de Vision Montréal qui avait accepté, en juin, de lui laisser sa place, mais à une condition: qu'il devienne président de son comité exécutif si elle était élue maire.

M. Labonté a commencé à sentir la soupe chaude lorsque le journal en ligne RueFrontenac.com a affirmé qu'il avait dîné au restaurant avec Tony Accurso, l'homme qui a décroché le contrat des compteurs d'eau et invité l'ex-bras droit de Gérald Tremblay, Frank Zampino, sur son fameux yacht.

Un homme que les politiciens fréquentent avec la plus grande discrétion. Un homme par qui les scandales arrivent.

Benoit Labonté aurait reçu de l'argent de Tony Accurso pour financer sa course à la direction du parti Vision Montréal en 2008.

Flanqué de Louise Harel qui l'a défendu becs et ongles, Benoit Labonté a juré sur ses grands dieux qu'il ne connaissait pas Tony Accurso et qu'il l'avait croisé une seule fois, en 2006, lors d'une activité de financement.

Vendredi, TVA et Radio-Canada en ont rajouté. On apprenait, entre autres, que Benoit Labonté aurait reçu une importante somme d'argent d'un entrepreneur lié au contrat des compteurs d'eau. Une enveloppe pleine de billets de banque pour l'aider dans sa course à la direction du parti.

Samedi, l'histoire a déboulé. TVA a affirmé que Benoit Labonté avait parlé à six reprises à Tony Accurso en janvier et février 2009. TVA avait les dates et la durée de chaque appel.

Pourtant, la veille, Benoit Labonté avait juré, la main sur le coeur, qu'il ne connaissait pas Tony Accurso. Et Louise Harel l'avait appuyé.

Hier matin, à l'aube, Louise Harel a donc appelé Benoit Labonté. Elle ne lui a pas laissé le choix: il allait à TVA sur le champ pour s'expliquer ou il démissionnait.

Il a démissionné.

Tiens, tiens.

* * *

Hier, pendant le point de presse, Mme Harel en a profité pour égratigner Gérald Tremblay. «Benoit Labonté, a-t-elle dit, est le bouc émissaire d'un système de financement qui a très certainement infiltré le parti du maire.»

Bouc émissaire? Louise Harel n'avait pas encore vu le reportage de TVA diffusé quelques heures plus tard pour dire une chose pareille. TVA a affirmé qu'une dizaine d'entrepreneurs liés à la construction ont allongé plus de 200 000$ pour aider Benoit Labonté à devenir chef de Vision Montréal.

Mme Harel est-elle naïve ou aveugle? De l'aveuglement volontaire, peut-être, la spécialité du maire Tremblay?

Benoit Labonté a été congédié. Mais est-ce que son départ règle les problèmes des enveloppes brunes et du copinage avec les entrepreneurs? Un homme part, mais le système reste? La même question se pose pour le maire Tremblay.

Le problème, c'est qu'il n'y aucune loi qui encadre le financement des courses à la direction des partis. Rien. Les enveloppes brunes peuvent circuler à gogo, tout est légal.

Légal, mais immoral. Car ces entrepreneurs risquent de devenir gourmands: je finance ton élection, mais tu me refiles un contrat.

Qu'est-ce que le gouvernement attend pour encadrer le monde municipal? Quand on voit un entrepreneur faire la pluie et le beau temps à Boisbriand, quand les élus sont copains-copains avec les entrepreneurs, on se dit: «C'est le far west».

Et le gouvernement se tourne les pouces.

Mme Harel s'est vantée d'avoir réagi rapidement. Il y a tout de même eu deux semaines de délai entre les premières allégations et le renvoi de Benoit Labonté. Une éternité en politique, surtout en campagne électorale.

* * *

Un mot sur Pierre Lampron, le nouveau bras droit de Mme Harel. Si elle est élue maire de Montréal, il deviendra président du comité exécutif.

M. Lampron est un néophyte. Il ne connaît rien à la politique et il n'a jamais été candidat. C'est un homme impliqué dans la culture. Comment pourra-t-il gouverner une ville pratiquement ingouvernable, lui, un débutant? A-t-il déjà assisté à un conseil municipal?

«Pour être efficace, il faut s'organiser efficacement», a-t-il dit, hier, pendant le point de presse. Pas fort-fort. Mais Montréal a vu pire. L'ex-maire Pierre Bourque avait nommé Jean Fortier, un homme sans expérience, président du comité exécutif. Son passage a été désastreux.

Est-ce que Montréal peut se permettre de prendre de tels risques?