Lorsque le ministre libéral Sam Hamad a tiré avec un bazooka sur les organisateurs du 250e anniversaire de la bataille des Plaines, il a tourné les coins ronds.

«Ils sont loin de la poésie et plus proche du FLQ, a-t-il déclaré sur les ondes de RDI. Pour moi, le FLQ, c'est la crise d'Octobre, les bombes et les assassinats. Nous, comme gouvernement, on se dissocie de cet événement.»

 

Un peu plus et il accusait les organisateurs de bricoler des bombes dans un sous-sol.

La réalité est plus prosaïque.

Tout a commencé par un souper entre amis en juin, m'a expliqué hier l'âme du spectacle, Brigitte Haentjens. La conversation a glissé autour de la bataille des Plaines: comment souligner la défaite des Français en 1759? se sont-ils demandé.

C'est là que l'idée des textes a surgi: pendant 24 heures, des artistes et des politiciens liraient des extraits de documents qui rappellent des moments, grands et petits, de l'histoire du Québec. Sans flafla ni paillettes. Des textes, que des textes.

Un groupe de bénévoles a pris les choses en main. Trois personnes, Brigitte Haentjens, le comédien Sébastien Ricard (le Batlam de Loco Locass, qui a incarné le chanteur des Colocs dans le film Dédé à travers les brumes) et Biz, aussi du groupe Loco Locass, ont choisi les textes.

Un choix qui tire dans toutes les directions. On cherche le fil conducteur à travers Bonheur d'occasion, de Gabrielle Roy, Bozo les culottes, de Raymond Lévesque, Discours en faveur du vote des femmes, d'Idola Saint-Jean, la Flore laurentienne, du frère Marie-Victorin... et le manifeste du FLQ.

Au total, 130 textes seront lus par 130 personnes samedi et dimanche sur les Plaines. Parmi les lecteurs, on entendra Bernard Landry, l'ex-ministre conservateur Benoît Bouchard, Robert Lepage, Pierre Curzi, Marie Tifo, Paul Piché, Julie Snyder...

Rien de révolutionnaire. On est plus près du projet pondu sur le bord de la table par des organisateurs broche-à-foin et bénévoles que du complot souverainiste-terroriste qui vise à réhabiliter les felquistes et la violence politique.

Dans la vraie vie, Brigitte Haentjens fait de la mise en scène, pas de l'agitation politique.

Petite organisation et petit budget, donc, mais grosse controverse. La décision de mettre le manifeste du FLQ au menu a mis le feu aux poudres.

Pourtant, le manifeste fait partie de l'histoire du Québec. Oui, l'événement a été dramatique, oui, le ministre Pierre Laporte a été assassiné et un diplomate britannique kidnappé, mais la crise d'Octobre est là, incontournable. Elle a profondément marqué la société québécoise. C'est le seul acte terroriste de l'histoire du Québec moderne.

Les felquistes exprimaient le gigantesque ras-le-bol d'une frange de la jeune génération contre la domination anglaise et le sort de leurs pères, porteurs d'eau et scieurs de bois. Une domination qui plongeait ses racines dans la défaite des Français sur les Plaines en 1759.

Le manifeste exprime les idées de ces jeunes qui ont tué et kidnappé. Il est inscrit dans l'histoire, comme la rébellion des Patriotes en 1837 et le rapport de Lord Durham, écrit deux ans plus tard, en 1839, dans la foulée de la révolte.

Durham concluait que les Canadiens français étaient un peuple sans histoire et sans culture, un peuple que les Anglais devaient assimiler.

Ce texte, aussi, sera lu samedi.

* * *

Je n'ai pas pu parler à Sam Hamad. Il ne veut pas rallumer les braises de la controverse, a expliqué son attaché de presse, Alexandre Boucher.

«Il y a des milliers de textes qui témoignent de l'histoire du Québec», a-t-il précisé.

C'est vrai, mais on ne peut pas mettre sur le même pied les recettes de cuisine de la brave Jehane Benoît et le manifeste du FLQ.

Le manifeste est incontournable. Il n'y a aucune provocation de la part des organisateurs qui l'ont glissé parmi les 130 textes.

L'événement est récupéré par les souverainistes, accuse le gouvernement Charest. Tout à fait. Il faut être angélique pour le nier. Gilles Duceppe, Bernard Landry, Françoise David, Pauline Marois, Louise Beaudoin, Pierre Curzi... seront aux premières loges. Sans oublier Patrick Bourgeois, le président du Réseau de résistance du Québécois, réputé pour faire la promotion de l'indépendance pure et dure sans s'enfarger dans la dentelle. Lui aussi lira un texte.

Le gouvernement Charest refuse de s'associer à cet anniversaire et de verser une subvention de 20 000$ aux organisateurs. C'est son droit le plus légitime. Les libéraux n'interdisent pas le spectacle. Ils ne veulent tout simplement pas être noyés dans une commémoration à forte saveur souverainiste.

Il n'y a aucune censure, juste du gros bon sens.