Mes articles sur le double meurtre du pont Jacques-Cartier ont réveillé de douloureux souvenirs. Plusieurs lecteurs m'ont écrit pour me dire à quel point la mort de Chantal Dupont, 15 ans, et de Maurice Marcil, 14 ans, les avait bouleversés.

Le soir du 3 juillet 1979, Normand Guérin et Gilles Pimparé ont croisé les deux adolescents sur le pont. Guérin avait un couteau; Pimparé, un fusil. Ils ont amené les jeunes sur la passerelle qui court sous le tablier du pont. Maurice était assis sur une poutre, les pieds pendants au-dessus du fleuve, terrorisé. Pimparé l'a jeté en bas du pont. Chantal a suivi peu après. Son corps a violemment heurté les eaux du fleuve. Elle était vivante au moment de l'impact. Comme Maurice.

Ce double meurtre a frappé le Québec. Plusieurs s'en souviennent. Voici ce qu'ils m'ont écrit.

«En 1979, j'étais un jeune agent des services correctionnels à Parthenais. J'étais affecté au secteur de la protection. J'ai bien connu Pimparé et Guérin pendant leur incarcération avant leur procès.

Je me souviens comme si c'était hier de leurs vantardises concernant le double meurtre. En 30 ans de carrière, j'en ai côtoyé, des personnages célèbres, de Mario Bastien à Valéry Fabrikant, mais je dois vous dire que les deux pires crapules demeurent Pimparé et Guérin.»

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«Cette histoire me rappelle la mort de mon frère, en avril 2006, dans l'Ouest canadien. Il a croisé deux hommes de 18 ans qui l'ont battu à mort pour le simple plaisir. Les deux hommes avaient bu. C'était un meurtre sordide, gratuit. Ils ont laissé mon frère sur un talus, les yeux crevés par des clés, une plaie béante au dos, les membres disloqués, le crâne fracassé, le visage transformé en bouillie. Ils se sont acharnés sur lui pendant 45 minutes à poings nus et à coups de pierre.

Ils ont écopé de 12 ans de prison, admissibles à une libération conditionnelle après huit ans.

La mort de mon frère défile souvent dans ma tête. Dans ma famille, le sujet est tabou. Notre deuil n'est pas encore fait.»

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«Pendant deux ans, j'ai été boubou macoute pour la Sécurité du revenu. Je voyais la misère dans le quartier du faubourg à Mélasse où Pimparé a grandi, une misère qui collait à la peau, transmise de génération en génération. Et je me disais souvent: les médias font des milliers de kilomètres pour nous montrer la misère dans le monde. Pas besoin d'aller aussi loin.»

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«J'ai eu un peu de difficulté à lire votre article, car j'avais oublié cette sordide histoire. C'est avec dégoût que je repense à la une du Journal de Montréal qui traînait sur la table de la cuisine.

J'étais copain avec Maurice. Pas proche, mais on se parlait à la récréation. On était assis côte à côte en classe. J'avais de la difficulté à l'école. Lui, c'était un bollé. J'essayais d'avoir un peu de son influence positive. J'ai toujours voulu ignorer cette histoire. Peut-être est-ce un curieux hasard du destin qui m'a dirigé vers votre article. Aujourd'hui, j'ai eu le courage de le lire au complet.»

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L'ancien chef de police Jacques Duchesneau se souvient avec netteté du double meurtre. «En 1979, je travaillais à titre d'enquêteur à la section des homicides de la police de Montréal et j'ai côtoyé les deux enquêteurs qui ont interrogé Pimparé et Guérin. Ces deux policiers m'ont dit que Pimparé avait une haine à peine maîtrisée envers son père, alors qu'il éprouvait un "tendre" respect pour sa mère et sa soeur. À l'époque, et encore aujourd'hui, je suis toujours chamboulé par le côté sadique du crime. Contrairement à la famille Dupont, je n'ai pas le pardon aussi facile. Mais je m'efforce de comprendre ce qui a pu pousser ces deux hommes à commettre un geste aussi odieux.»

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La mère de Maurice Marcil m'a écrit. Je l'ai rencontrée en avril. Elle m'a parlé de son fils, de la semaine infernale qui a suivi sa disparition, du temps suspendu où elle a oscillé entre l'espoir et la détresse, de sa douleur lorsqu'elle a appris sa mort.

Elle m'avait confié qu'elle ne voulait pas que les assassins de son fils sortent de prison. «Ils ont été condamnés à perpétuité...»

Elle m'a demandé de préciser sa pensée. «Ce que vous avez écrit ne correspond pas à mon état d'esprit. Aussi longtemps que les deux criminels ne comprendront pas la gravité de leurs actes et que les experts n'auront pas donné l'assurance de leur non-dangerosité, je m'opposerai à leur mise en liberté.»

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«J'ai le même âge que Maurice Marcil et Chantal Dupont. Enfin, celui qu'ils auraient aujourd'hui s'ils n'avaient pas été assassinés. Je m'en souviens comme si c'était hier.

Les vacances d'été commençaient. J'étais assise au bord de la piscine, mon père m'a tendu le journal en me disant: "Lis ça." Je n'avais jamais réalisé à quel point la vie pouvait être dangereuse, je pensais que mes parents exagéraient. À 14 ans, je me croyais immortelle et invincible.

Le double meurtre a été comme une gifle. J'étais bouleversée. Je ne l'ai jamais oublié. Ces deux jeunes, je les porte en moi. C'est avec eux que j'ai perdu mon innocence.»