En avril, j'ai parlé à Louise Harel. Elle m'a expliqué qu'elle ne voulait pas se lancer dans la course à la mairie de Montréal. Sa décision était catégorique, elle n'avait pas l'ombre d'un doute.

«J'ai trois handicaps, m'avait-elle expliqué. Je ne parle pas anglais, je suis souverainiste et j'ai fait les fusions.»

Un mois et demi plus tard, Louise Harel plonge. Surprenant virage à 180 degrés. Hier, elle est arrivée au bras de Benoit Labonté, chef de Vision Montréal, au marché Bonsecours. La grande salle était bondée. Normalement, un point de presse municipal n'attire qu'une poignée de journalistes, toujours les mêmes.

 

Benoit Labonté était tout sourire. Il cède sa place à Louise Harel, qui devient chef de Vision Montréal et candidate à la mairie de Montréal.

Mais Louise Harel, qui arrive comme un sauveur, ne l'aura pas facile. Hier, les anglophones étaient sur le pied de guerre. Une journaliste de la CBC lui a remis sur le nez ses déclarations passées sur les «Arabes de Ville Saint-Laurent» et «le caractère anglo-britannique de Westmount et son odeur colonialiste».

Mme Harel a essayé de se défendre dans un anglais boiteux, presque douloureux. Un exercice qui frisait la torture. Son passé va la hanter, son anglais minimaliste aussi. Peut-on être maire de Montréal sans parler anglais? La question se pose.

Hier, des lecteurs se déchaînaient sur le site de la Gazette. Ils traitaient Louise Harel de «monster», «witch» (sorcière), «idiot».

Autre péché mortel aux yeux de certains, surtout les anglophones: les fusions, l'oeuvre de Louise Harel.

Si Montréal est paralysé, c'est à cause des défusions, cette patente à gosses lancée sur la gueule par le gouvernement libéral de Jean Charest. C'est ça qui a foutu le bordel dans les structures de Montréal, pas les fusions de Louise Harel.

Mais les Montréalais ne s'enfargeront pas dans ces subtilités. Pour eux, la responsable du gâchis, c'est Louise Harel, point à la ligne. Déjà Peter Trent, ex-maire de Westmount et opposant farouche des fusions, tirait à boulets rouges sur Mme Harel, faisant fi de la réalité.

«C'est elle qui a créé le monstre et aujourd'hui, elle se présente pour régler les problèmes de Montréal!» a-t-il lancé, hier.

Le diagnostic de Louise Harel est juste: Montréal est sur-gouverné, sur-administré, dirigé par 19 maires d'arrondissement quasiment indépendants. Un monstre à 19 têtes. Mme Harel se lance en politique pour simplifier l'administration de la Ville.

Sauf qu'elle a deux problèmes. Premièrement, elle risque de passer pour la candidate qui veut de nouveau lancer Montréal dans un débat de structures.

Deuxièmement, la Ville n'a pas le pouvoir de régler le casse-tête de la gouvernance. Seul Québec peut modifier les structures.

Si Mme Harel est élue, elle devra faire comme tous les maires précédents, prendre son bâton de pèlerin et cogner à la porte du gouvernement pour quêter des changements. Elle, la péquiste, ancienne ministre des Affaires municipales, devra quasiment supplier la libérale Nathalie Normandeau pour qu'elle l'écoute. Humiliant pèlerinage en vue.

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Benoit Labonté avait l'air de bonne humeur, hier. Il était dans une forme rare. Dans un élan de lucidité, il a renoncé à la direction de Vision Montréal. Pas question de s'accrocher et d'agoniser comme Stéphane Dion. Je lui tire mon chapeau.

Par contre, il n'a pas fait un geste altruiste. Benoit Labonté, qui est un homme très ambitieux, a fait un pacte avec Louise Harel. Si elle est élue maire de Montréal, il deviendra président du comité exécutif. Il ne sera pas à l'avant-scène, mais il goûtera au pouvoir, le vrai.

Hier, Mme Harel flottait sur un nuage. Le choc de la réalité risque d'être brutal. Vision Montréal ressemble davantage à une picouille qu'à un cheval fringant. Le parti traîne un déficit de 85 000$, il devra organiser à la sauvette un congrès qui couronnera Mme Harel, et 17 personnes (élus, cadres et membres importants) ont claqué la porte du parti depuis 2005.

Benoit Labonté a fait le vide autour de lui. Les critiques de ses anciens collaborateurs sont virulentes: il ne consulte pas, il n'a pas l'esprit d'équipe, il ne travaille pas avec les élus, il est contrôlant. Gros défi pour Louise Harel.

N'empêche, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a de quoi être inquiet. En plus d'être empêtré dans des scandales qui ont éclaboussé son administration, il devra affronter une femme qui, sous son ton doucereux, est une redoutable adversaire politique.

Hier, le silence de l'hôtel de ville était frappant. Le maire a envoyé au front son attaché de presse. Gérald Tremblay n'a rien dit, lui, si prompt à prendre le micro. Un signe évident de nervosité.

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