Les visages étaient longs, hier soir, à l'hôtel de ville de Montréal. Le maire, Gérald Tremblay, a convoqué les médias en catastrophe à la suite de la mort de trois personnes frappées par des camions de déneigement.Funeste journée. Hiver meurtrier.

En 2005, deux personnes sont mortes à la suite des opérations de déneigement;en 2006: aucun mort ; même chose en 2007; en 2008, un mort: le 15 décembre, une niveleuse a tué une femme de 49 ans dans Côte-des-Neiges.

Et hier, bang ! Trois morts impliqués dans deux accidents différents. Le matin, un camion qui appartenait à une entreprise privée a heurté deux personnes âgées. L'après-midi, même scénario: un homme dans la quarantaine a été tué par un camion. Un privé. Encore.

Les visages étaient longs, hier, à l'hôtel de ville, disais-je. Trois morts, c'est énorme. Incompréhensible. On n'est pas au Far West, mais dans une ville civilisée.

Le maire était flanqué de son tout nouveau responsable du déneigement, Luis Miranda. Le pauvre, il faisait presque pitié. La semaine dernière, 25 cm de neige sont tombés sur la ville deux jours après sa nomination. Les cols bleus ont débrayé en pleine heure de pointe, abandonnant M. Miranda au milieu de la tempête.

Et hier ! Déjà que le déneigement est un dossier empoisonné, imaginez si les camions se mettent à faucher la vie des Montréalais. Dur début de mandat.

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La moitié du déneigement est réalisé par le privé, le reste est fait par les cols bleus. Hier, les cols bleus n'étaient pas impliqués. Le responsable: le privé. Le problème: les gros camions qui transportent la neige. Ils se baladent partout dans la ville avec leur lourde cargaison, la pédale parfois au plancher.

Le privé est payé au chargement. Drôlement tentant de bâcler le travail à toute vitesse. Plus payant.

Hier, les journalistes ont demandé à Gérald Tremblay s'il allait remettre en question cette pratique.

«Il y a toujours une réflexion à faire quand de tels événements arrivent», a-t-il répondu.

Puis, il s'est mis à faire la leçon aux piétons. Il n'avait pas tout à fait tort, ils sont souvent délinquants. Mais bon, de là à se faire faucher par un gros camion rempli à ras bord de neige, il y des limites. Et ce n'était pas le temps de faire la morale aux piétons quand trois d'entre eux venaient de mourir en traversant tranquillement la rue.

La vie de piéton est de plus en plus risquée à Montréal. Selon la Direction de la santé publique, le nombre de personnes blessées à la suite d'un accident de la route est passé de 10 926 en 1998 à 12 806 en 2003. En moyenne, cinq piétons sont blessés chaque jour.

Mais revenons à la neige. Autre problème, les longues heures de travail. Le privé respecte-t-il la loi qui interdit aux conducteurs de véhicules lourds de travailler plus de 70 heures par semaine? Pas sûr. Là encore, la tentation est forte d'accumuler les heures et de fermer les yeux sur le compteur lorsqu'il dépasse la limite permise.

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En 2005, deux piétons ont été tués par un camion de déneigement alors qu'ils traversaient la rue sans une once de délinquance. Dans les deux cas, le camion faisait un virage. Les conducteurs ont juré qu'ils n'avaient rien vu.

Le coroner a recommandé que le champ de vision des camions soit rectifié. La Ville a vérifié les camions utilisés par ses cols bleus. Pas de problème, a-t-elle conclu.

Et le privé? À lui de se conformer, a répondu la Ville, hier. Assez Ponce Pilate comme réponse, merci. Les coroners n'ont aucun pouvoir coercitif, ils ne font que des recommandations qui peuvent facilement tomber dans les limbes. La Ville affirme qu'elle n'a pas à se substituer à la Société de l'assurance automobile du Québec qui, elle, est chargée de veiller au grain. Trop facile.

Pourquoi la Ville n'exige-t-elle pas que le privé se conforme à la recommandation du coroner? Deux camions en 2005 qui tuent deux piétons. Trois hier. Il me semble qu'il y a un petit problème du côté des camions. Trop gros? Mal conçus? La Ville devra se poser de sérieuses questions et se montrer plus exigeante vis-à-vis de ses partenaires privés. Après tout, c'est elle qui établit les règles.

Dernier point: la course au trottoir sec et à la rue déblayée à l'os. Le déneigement est devenu une affaire d'État. Dès qu'un flocon n'est pas ramassé assez rapidement, c'est la crise, que dis-je, le scandale. Les médias participent à cette hystérie du trottoir déglacé-déneigé plus vite que son ombre. Mea-culpa.

La mort absurde de trois piétons en ce petit mardi frisquet de février nous rappelle qu'il faut peut-être faire preuve de plus de patience. Après tout, Montréal est une ville d'hiver... et de neige.