Facile d'accuser les cols bleus. Ils ont le dos large. Toujours de leur faute, la neige, la saleté, les trottoirs glacés. Des paresseux, des têtes brûlées, des enfants gâtés assis sur une grosse convention collective.

La Ville fait figure de victime. La pauvre, prise avec tous ces malotrus.

Mercredi, en pleine heure de pointe, plus de 600 cols bleus ont abandonné chenillettes et camions, laissant les Montréalais patauger dans 20 centimètres de neige. En apparence, les bleus ont été fidèles à leur réputation de goujats.

 

Mais la réalité est plus nuancée. La Ville s'est fourvoyée. Elle a oublié de payer les heures supplémentaires effectuées par les cols bleus en décembre. Pire, elle n'a pas versé un sou aux auxiliaires. Faut le faire. La Ville n'est pas une entreprise broche-à-foin (quoique...) qui gère seulement trois ou quatre employés.

Hier, le directeur des relations professionnelles, Jean-Yves Hinse, était pantois. Il a été mis au courant de la situation à 16h, en pleine tourmente, lui, le grand patron des 22 000 employés de la Ville, 30 000 si on compte les auxiliaires et autres temps partiel. Il ignorait que les cols bleus - ses cols bleus - n'avaient pas été payés.

- Pourquoi? lui ai-je demandé.

- Bonne question, a-t-il répondu. Je n'ai pas la réponse.

La Ville est une étrange bibitte. Décentralisée, éclatée, écartelée, pour son plus grand mal. Il existe 15 systèmes de paye: un pour les neuf arrondissements de l'ancienne Ville de Montréal, dix pour chacune des anciennes banlieues qui ont été fusionnées en 2001 (Saint-Laurent, Anjou, etc.), un pour les pompiers, un pour les policiers, etc.

Comment s'y retrouver?

Le déneigement, aussi, est éclaté: 19 arrondissements, 19 façons de faire, 19 budgets différents. Car ce sont les arrondissements qui s'occupent de ce dossier chaud. La ville centre, elle, regarde le train passer et essaie, dans les limites de ses pouvoirs émasculés, de coordonner le déneigement des axes prioritaires (Sherbrooke, Papineau, Crémazie...).

Pourtant, lorsqu'une tempête s'abat sur Montréal, il y a une urgence: déneiger au plus vite. Même si la Ville a 19 têtes, elle n'arrive pas à comprendre une chose aussi simple.

Légal ou non, le débrayage? Le beau débat.

Jean-Yves Hinse n'en démord pas. L'arrêt de travail est illégal, car l'action était concertée.

Le président du Syndicat, Michel Parent, proteste. Les cols bleus avaient fini leur journée et rien ne les oblige à faire des heures supplémentaires.

Il s'insurge. Ça fait trois ans que la Ville oublie de les payer. Elle ne veut pas verser d'heures supplémentaires aux cols blancs pendant les Fêtes. C'est eux qui préparent les chèques.

- Et les Montréalais qui ont été pris dans la schnoute mercredi soir?

- Je déplore l'action des cols bleus. On essaie de changer notre image.

- Et elle est comment, votre image?

- Dix cols bleus autour d'un trou, ça se pogne le beigne, ça travaille pas.

Ce n'est pas moi qui le dis.

Utilisez les transports en commun, nous dit la Ville les jours de tempête. Je ne veux pas vous embêter encore une fois avec mes petites misères, mais il fallait être drôlement persévérant, hier, pour circuler en métro et en autobus.

Permettez que je me défoule.

Hier matin, 8h30, angle Christophe-Colomb-Mont-Royal. L'autobus 14. En retard. Il passe aux 25 minutes. Je vois le 97 qui se faufile péniblement sur Mont-Royal. Je traverse la rue en pataugeant dans les bancs de neige. Le chauffeur, une femme, me regarde, l'oeil mauvais. L'autobus est plein, mais il reste de la place. Elle démarre en me laissant en plan sur le trottoir.

Je re-traverse Mont-Royal pour attendre de nouveau l'autobus 14. Rien à l'horizon. Je me résigne à marcher jusqu'au métro. Les wagons sont pleins. Lorsque les portes s'ouvrent, les passagers agglutinés forment un mur hostile et refusent de bouger. Les wagons passent, mais les passagers, eux, restent plantés sur le quai.

Pourquoi ne pas ajouter de voitures les jours de tempête?

«Impossible, répond la porte-parole de la STM, Marianne Rouette. Le métro fonctionne à pleine capacité, les voitures passent toutes les trois minutes et demie. Depuis 2006, le nombre de kilomètres parcourus par le métro a augmenté de 26%. Du jamais vu dans l'histoire de la STM. Et nous avons la deuxième flotte la plus vieille au monde!»

Justement, pourquoi un métro aussi vétuste? Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de commander de nouvelles voitures? Pourquoi tout est toujours si lent et si compliqué à Montréal?

Est-ce qu'une des 19 têtes pourrait me répondre?

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca