Il faisait un froid de canard. Moins 12. Ou moins 90 avec le facteur vent. J'exagère. À peine.

Un froid vicieux, humide. Le 6 décembre 1989 aussi, il faisait froid. Un froid de chien. Le thermomètre avait plongé autour de moins 30. Et 14 filles avaient été assassinées par Marc Lépine. Froidement assassinées.

Hier après-midi, la scène était surréaliste. Tout s'est passé très vite. La première rumeur a frappé la salle de rédaction de La Presse vers 14h45. J'ai sauté dans un taxi avec une collègue. On s'est regardées. Encore? Encore Montréal? Encore une université? Encore un tireur fou qui arpente les couloirs, prêt à tirer à bout portant sur des victimes?

 

Pendant un bref instant, on y a cru. Tout le monde y a cru. Comment ne pas y croire après Polytechnique, après Concordia où Valéry Fabrikant a liquidé quatre collègues, après Dawson où Kimveer Gill a tué une étudiante et blessé 18 personnes ?

Trois tueries en 17 ans. À Montréal. Y a-t-il un karma sur la ville? L'hypothèse d'un tueur fou à l'UQAM n'avait rien de farfelu.

14h53. J'arrive. Les premiers journalistes sont sur place. Ils se jettent sur les rares étudiants qui marchent boulevard René-Lévesque. Ils brandissent leur calepin sous leur nez et les bombardent de questions.

«Étiez-vous à l'intérieur, avez-vous vu ou entendu quelque chose? Votre nom?»

L'endroit grouille de policiers et de longs rubans jaunes bloquent l'accès au pavillon des sciences de l'éducation.

Tout le monde a réagi au quart de tour: les policiers, les journalistes, l'UQAM.

C'est étrange à dire, mais on a développé une expertise. Une routine. Macabre, oui, mais routine quand même. Quatre alertes depuis 1989. On n'a pas vraiment le temps de rouiller.

Tout s'est passé très vite, disais-je. À 13h30, un professeur appelle un employé d'entretien pour lui dire qu'il a découvert un drôle de sac dans sa classe. Un sac avec deux couteaux et des douilles de calibre 22. À 13h45, la police est alertée. Trente minutes plus tard, la rumeur s'emballe et se répand comme une traînée de poudre dans les salles de rédaction: coups de feu à l'UQAM.

14h53 donc. Beaucoup de journalistes agglutinés aux abords de l'UQAM, des policiers un peu énervés qui n'ont qu'un mot à la bouche: pas de commentaire!

Une quinzaine de minutes plus tard, le directeur des communications de l'université, Daniel Hébert, débarque au coin de René-Lévesque et Saint-Denis. En complet cravate. Pas de manteau. Il est bref, concis. Peut-être parce qu'il est frigorifié.

Il y a eu des «bruits assimilables à des coups de feu», dit-il. Pas de blessés. Oui, le pavillon a été évacué et oui, il y a encore des étudiants barricadés dans des classes et des employés enfermés dans leur bureau.

Suit le porte-parole de la police, Raphaël Bergeron. Il n'y a pas de blessé ni de trace de sang ou de projectile sur les murs, mais un sac suspect qui «nous laisse croire qu'il y a une personne avec des armes».

Reste la partie la moins excitante du travail de journaliste: rester sur place, attendre, se geler les pieds, courir après les étudiants qui sortent au compte-gouttes pour leur arracher un témoignage, attendre les points de presse, se geler les pieds, attendre.

Dans les pavillons adjacents, le train-train continue. Pépère, tranquille. Des professeurs donnent leur cours, des étudiants se promènent dans les couloirs ou bûchent sur leurs examens. Plusieurs se branchent sur l'internet et suivent en direct les événements qui se déroulent de l'autre côté de la rue.

Surréaliste.

L'UQAM est terriblement vulnérable. Elle est située au coeur du centre-ville et non sur la montagne comme l'Université de Montréal. Le campus est éclaté en 31 pavillons; 40 000 étudiants, 1000 professeurs. Le métro circule dans ses entrailles. Une ville dans une ville.

Au lendemain de la tragédie de Dawson, le gouvernement du Québec a demandé à toutes les universités de revoir leur plan d'urgence. L'UQAM a embauché davantage de gardiens de sécurité, préparé des messages prêts à être diffusés en cas de catastrophe, installé des téléphones rouges un peu partout.

Hier, tout s'est bien déroulé, mais il n'y avait pas de tireur fou. Que des pétards et un sac louche qui ont causé tout un émoi, mobilisé une armada policière et provoqué des bouchons de circulation monstres au centre-ville. Est-ce que l'opération aurait capoté si un Marc Lépine avait tiré à vue? Peut-être.

En fin de journée, les derniers étudiants étaient évacués. La police a trouvé des pétards et un sac avec des munitions et deux couteaux, et les caméras de l'UQAM ont capté l'image d'un ou plusieurs suspects.

Mauvaise blague? Ou opération tuerie avortée? On ne le saura peut-être jamais.

Une chose est certaine, c'était vraiment un après-midi de chien.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca