Avec l’avortement, le mariage entre personnes de même sexe fait partie des thèmes qu’Andrew Scheer n’aime pas trop aborder. Lors des dernières rencontres de presse, ce sujet a pris la forme d’une pelure de banane que le chef du Parti conservateur arrive à voir de très loin.

La semaine dernière, en pleine « affaire blackface », des journalistes ont tenté de faire réagir le chef conservateur sur les propos qu’il a tenus aux Communes en 2005 lors du débat portant sur le mariage entre conjoints de même sexe. Une vidéo, ressortie par les libéraux à la fin du mois d’août, est à l’origine de cette mini-tempête.

Alors que les députés étaient appelés à prendre part au débat sur le mariage gai, le jeune conservateur, alors âgé de 25 ans, avait déclaré : « Combien de pattes a un chien si on compte la queue comme une patte ? La réponse est quatre. Si le projet de loi C-38 est adopté, les gouvernements et les Canadiens devront dire qu’une queue est une patte. »

Grosso modo, pour Andrew Scheer, deux conjoints de même sexe ne sont « pas complémentaires » et ne peuvent « procréer ». Par conséquent, ils ne peuvent se marier. Selon le chef du Parti conservateur, les gais peuvent « cohabiter » ensemble et peuvent « posséder des biens ensemble ». Ils peuvent aussi faire le choix d’être monogames.

Un peu plus et Andrew Scheer nous disait que les gais peuvent également vivre dans une cabane perdue dans le fond des bois et sortir uniquement la nuit pour éviter de croiser le regard des autres. Ces propos, profondément offensants, m’avaient échappé. Quand je les ai découverts la semaine dernière, je suis tombé à la renverse.

Mais bon, me suis-je dit, ces paroles datent de plusieurs années et Andrew Scheer a sans doute fait évoluer sa pensée là-dessus. Le 29 août dernier, lors d’une conférence de presse à Toronto pendant laquelle le chef du Parti conservateur a été bombardé de questions sur l’avortement et le mariage gai, celui-ci a répété que, s’il était élu, il ne reviendrait pas là-dessus et qu’il allait travailler à créer une forme de « cohérence » au sein de son gouvernement.

Mais est-ce que certains de ses députés plus à droite, plus proches des valeurs religieuses traditionnelles (comme la candidate Tamara Jansen, qui fait partie de ceux qui croient que la Terre a été créée en six jours), seront totalement fidèles à leur chef s’ils se retrouvent aux Communes ?

Même si une certaine inquiétude règne quant à l’avenir du mariage entre conjoints de même sexe, il faut savoir qu’Andrew Scheer, s’il est élu, pourrait difficilement changer les choses. Que pourrait-il faire au juste ? Demander à la Cour suprême de rouvrir cette question ?

PHOTO NATHAN DENETTE, LA PRESSE CANADIENNE

« Même si une certaine inquiétude règne quant à l’avenir du mariage entre conjoints de même sexe, il faut savoir qu’Andrew Scheer, s’il est élu, pourrait difficilement changer les choses », écrit notre chroniqueur Mario Girard. 

Quatre cours d’appel au pays (Ontario, Colombie-Britannique, Québec et Yukon) sont arrivées à la conclusion que le refus du droit de se marier pour les conjoints de même sexe est discriminatoire et n’est pas conforme à la Charte canadienne des droits et libertés.

En décembre 2004, la Cour suprême du Canada a refusé de contredire ces décisions en s’abstenant de répondre à l’une des quatre questions soumises par le gouvernement fédéral. Je vois très mal comment la Cour suprême accepterait de rouvrir ce débat.

Andrew Scheer pourrait partir en croisade et décider de mettre des bâtons dans les roues aux projets de mariage entre conjoints de même sexe – par exemple, limiter le choix des célébrants. Mais, malheureusement pour Scheer, cet aspect relève de la compétence des provinces. Il reste donc le recours à la clause de dérogation. Le chef conservateur oserait-il aller jusque-là ? J’en doute.

Barrières juridiques ou pas, cela n’empêche pas les conservateurs de nourrir une conception négative au sujet du mariage gai. On sent bien qu’ils vivent difficilement avec cette loi. À l’instar d’autres pays où l’on observe un recul en matière de droits de la communauté LGBTQ, parler du mariage gai comme quelque chose de contre nature, d’anormal et d’irrégulier n’a rien de bon.

J’ai un ami qui aime faire le fanfaron et dire au sujet des hétéros qu’il a dans sa ligne de mire que certains « sont à deux vodkas d’être gais ». À cela, je réponds que le contraire est également vrai et qu’une tranche importante de la population canadienne est « à deux bières d’être homophobe ». Exclure un groupe en particulier de cette institution qu’est le mariage n’est pas un signe de santé pour une société.

À 29 jours du scrutin, Andrew Scheer sait fort bien qu’il ne peut se permettre aucun dérapage. Il doit continuer à rassurer ses supporteurs et ne pas dérouter les autres. Il sait surtout qu’il est en face d’un groupe minoritaire (l’un des territoires de Justin Trudeau) qui peut compter maintenant sur l’appui d’une large part de la population. Le mariage gai ne concerne pas que les gais.

J’aimerais reprendre l’analogie d’Andrew Scheer et soumettre la question suivante : combien de queues possède un chien ? La réponse est cinq ! Il faut parfois se mettre sur le dos et remuer tout ce que l’on possède pour séduire les électeurs.