Après avoir connu un succès mitigé il y a une dizaine d’années, voilà que les caisses en libre-service font un retour fulgurant. Vous avez sans doute remarqué que plusieurs grandes chaînes commerciales font des pieds et des mains pour nous diriger vers ces caisses automatiques dont la particularité est d’évincer sans vergogne l’être humain.

En France, leur arrivée suscite un véritable raz-de-marée. Dans les hypermarchés comme Carrefour, Franprix, Leader Price, Monoprix ou Casino, c’est la révolution. Près de 60 % des épiceries à grande surface se sont équipées de ces caisses. Cela suscite de vives réactions. Certains pleurent même la disparition des caissières françaises, ces femmes souvent dépeintes comme des matrones antipathiques et cassantes. Imaginez…

Chez nous, de dynamiques « animateurs de caisses » ont fait leur apparition dans plusieurs magasins à grande surface pour nous diriger vers ces appareils qui, pour le moment, suscitent plus de frustration que de satisfaction. 

Je m’explique. Quand on achète un seul objet dans une quincaillerie à grande surface, ça va. Mais avez-vous déjà fait passer des dizaines d’articles d’une épicerie sur l’un de ces appareils ? Un conseil : ne prévoyez pas de crème glacée.

D’abord, il y a le stress de jouer au caissier novice. « Où est le mautadit code-barres ? Est-ce que ce sont des tomates en grappes ou de serre ? Il me semble que ce jus d’orange était annoncé moins cher dans la circulaire ! » Vous pouvez également vivre un autre état d’âme fabuleux, celui de vous impatienter derrière quelqu’un qui cherche désespérément sur l’écran le symbole du chou-fleur.

J’ai vécu cette expérience l’autre jour. La personne prenait un temps fou à vérifier sur l’écran si le prix ne s’était pas affiché deux fois et à placer lentement et judicieusement chaque article dans le sac… Les gens autour de moi poussaient de profonds soupirs. Nous nous demandions collectivement où se trouvaient l’efficacité et la rapidité promises.

On l’aura compris, ce virage vise à éliminer des ressources humaines et à réduire les coûts d’exploitation.

Voyant sa marge de profit fondre au détriment du commerce en ligne et faisant face à l’augmentation du salaire minimum, le commerce de détail cherche divers moyens de combler ces manques à gagner. L’élimination des caissiers et des caissières est, pour les dirigeants, l’une des solutions.

Au Québec, où une pénurie de main-d’œuvre frappe divers secteurs, l’arrivée des caisses en libre-service « peut aider » les dirigeants de supermarchés, pense Stéphane Lacasse, directeur des affaires publiques et gouvernementales à l’Associations des détaillants en alimentation du Québec. « Pour plusieurs détaillants, cela permet d’affecter le personnel dans d’autres départements du magasin », dit-il.

Cette approche « révolutionnaire » n’est évidemment pas à l’abri des fraudes et du vol. Rapidement, des gens mal intentionnés, mais créatifs, ont décelé les faiblesses de ce système. En Australie, par exemple, le « truc de la carotte » a fait en sorte qu’on est davantage vigilant. Des propriétaires de supermarchés se sont rendu compte qu’ils vendaient un nombre anormalement élevé de carottes. Des clients payaient l’équivalent de plusieurs kilos de ce légume bon marché alors qu’ils passaient des produits plus onéreux.

Au Royaume-Uni, une étude a permis de découvrir qu’un client sur cinq admet voler pour 15 livres sterling par mois en utilisant les caisses automatiques ; cela représente des pertes de 1,6 milliard de livres par année. Pour parvenir à leurs fins, les fautifs cachent le code-barres tout en mimant l’action de scanner, passent en même temps deux articles collés l’un à l’autre, ou encore entrent le mauvais nombre de produits. Voilà pourquoi il y a toujours des gardiens de sécurité autour de ces caisses, une présence qui donne la désagréable impression de franchir un poste de douane.

Certains observateurs de l’univers du marketing affirment que ce système, qu’on a du mal à mettre sur les rails, est déjà dépassé. C’est le cas d’Housni Nafis, maître d’enseignement à HEC Montréal, qui n’hésite pas à qualifier ce procédé de « préhistorique ». Il croit plutôt que le modèle appelé « Amazon Go » va supplanter tous les autres modes de paiement. Grâce à une carte de paiement associée à son téléphone intelligent, le client n’a qu’à scanner les articles qu’il désire se procurer et les mettre dans son chariot.

L’implantation des caisses en libre-service ne se fait pas dans l’harmonie totale au Canada. Un sondage de l’Université Dalhousie réalisé en octobre 2018 sur les habitudes d’achat des consommateurs a révélé que si les trois quarts des Canadiens avaient déjà fait l’expérience au moins une fois de ce système, seulement 11 % l’utilisaient régulièrement. Le sondage nous a appris également que c’est au Québec qu’on est le plus réfractaire aux caisses en libre-service.

L’arrivée de ces caisses a même fait naître un mouvement de protestation.

Sur les réseaux sociaux, des gens s’opposent à leur présence et incitent le public à contourner leur utilisation. On veut ainsi manifester un appui aux milliers d’employés qui perdent ou perdront leur emploi à cause de cette technologie.

Pour beaucoup de gens, cette élimination de ressources humaines en est une de trop. Après l’apparition des guichets automatiques, des systèmes de reconnaissance vocale, des paiements automatisés dans les stationnements, des systèmes d’enregistrement à l’hôpital avec la carte d’assurance maladie, de la multiplication de bornes de commande dans les restaurants et d’autres technologies qui ont éliminé la présence d’humains, quelles seront les prochaines étapes de cette folie du scan ?

Je suis loin d’être contre l’avancement technologique que nous connaissons en ce moment. Je ne cesse de répéter que nous connaissons une époque formidable et que je suis heureux de la vivre. Mais comme pour plusieurs autres choses, je veux pouvoir choisir. De grâce, ne m’imposez pas une machine quand je n’en ai pas envie.

Pour beaucoup de gens, parler de la pluie ou du beau temps avec une caissière n’a aucune espèce d’importance. C’est même une tare. Mais il faut savoir que pour beaucoup d’autres personnes, cet échange est capital. C’est parfois le seul qu’elles ont dans leur journée.

Et pour ces personnes-là, cela n’a pas de prix.