Vous vous souvenez sans doute du grand succès Vivre dans la nuit du groupe Nuance. Dans cette chanson, une fille désœuvrée, incarnée par Sandra Dorion, fait un portrait affligeant et rebutant de la vie nocturne. Heureusement pour notre moral, la pauvre fille réalise finalement « qu’yé 4 h du matin » et « qu’yé l’heure d’aller s’coucher ».

Longtemps associée aux dangers et aux vices, la vie nocturne se refait une image. Elle se débarrasse des peurs qu’elle suscite. Partout dans le monde, le concept de l’économie nocturne se développe. On découvre soudain que les êtres humains peuvent continuer à bouger, à explorer, à s’amuser et à vivre au-delà de 3 h du matin.

Des villes comme Londres, New York, Paris et Amsterdam ont pris une longueur d’avance sur nous et ont mis de l’avant des mesures qui favorisent la vie nocturne sur leur territoire. Mardi, à l’émission Longueur d’onde, animée par Noémi Mercier et Philippe Desrosiers sur ICI Première, la sociologue Anouk Bélanger a parlé des « maires de la nuit » que des villes comme Zurich, New York, San Francisco, Paris, Rotterdam et Nantes ont mis en place. Mi-ambassadeurs, mi-entrepreneurs, ces « maires » veulent démontrer que la nuit ne doit plus être une période morte dans les grandes villes.

Anouk Bélanger a aussi évoqué le rôle des « grands conseils de la nuit », ces escouades de médiateurs qui évoluent à Genève, New York, Paris et Toulouse en pleine nuit. Leur rôle est de s’assurer que tout se déroule bien entre ceux qui veulent profiter des plaisirs et des avantages qu’offre la réalité nocturne et tous les autres acteurs, y compris ceux qui préfèrent ronfler.

À Vancouver et à Toronto, on profite de l’été pour voir comment on peut améliorer la vie nocturne dans différentes sphères urbaines et ainsi générer une économie qui n’attend qu’à être réveillée. À Londres, on estime à 28 milliards de livres les retombées économiques liées à la vie culturelle et festive nocturne.

À Montréal, une ville qui aime bien rappeler qu’elle est « jeune et cool », on traîne la patte. Je suis tombé sur une analyse, qui date de 2011, préparée par l’urbaniste Claire Néron-Dejean. Dans ce rapport, Montréal au bout de la nuit, l’experte note une absence de « mobilisation forte de la part des acteurs de la nuit ou des élus » pour permettre à Montréal de s’épanouir la nuit.

Il faut toutefois noter qu’un projet pilote, qui consistait à permettre à une vingtaine de bars du Quartier latin de demeurer ouverts jusqu’à 6 h, a été mis de l’avant en 2014 par l’administration de Denis Coderre. La Régie des alcools a refusé d'autoriser le projet. Et depuis, on dort la nuit. Et au gaz !

En juin dernier, lors d’une consultation publique sur le loisir public montréalais, l’organisme MTL 24/24 a présenté un mémoire qui prône le développement de ce projet urbain. Ce mémoire met l’accent sur les infrastructures et l’encadrement qui doivent accompagner ce changement.

Je me suis entretenu avec Mathieu Grondin, l’un des membres de Montréal 24/24, au moment de la présentation du mémoire. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’une ville comme Montréal doit emprunter ce virage si elle veut être de son époque et enrichir son image auprès des touristes.

J’ai tenté de m’entretenir avec la responsable de ce dossier à la Ville de Montréal, la conseillère et vice-présidente du comité exécutif Magda Popeanu. Une attachée de presse m’a répondu, sans surprise, que cela ne serait pas possible. Elle m’a écrit un beau petit courriel pour me dire : « ce dossier nous intéresse toujours » et pour m’indiquer qu’on n’avait « rien de nouveau à présenter pour le moment ».

Il est clair que la Ville de Montréal est prise avec une patate chaude entre les doigts. D’un côté, elle est sans doute tentée d’imiter les villes qui ont déjà emboîté le pas, mais d’un autre côté, elle craint de faire face à un grave problème : la colère des citoyens qui n’ont pas envie d’être dérangés par des activités nocturnes.

Rappelez-vous le déferlement de plaintes qui a suivi, en 2006, l’entrée en vigueur de la loi interdisant le droit de fumer dans les restaurants et les bars. Les clients se sont retrouvés en grand nombre sur les trottoirs à empêcher les citoyens diurnes de dormir.

Pour le moment, le désir d’une vie nocturne semble surtout venir de gens d’affaires, c’est-à-dire de propriétaires de bar. Tant mieux si une prolongation des heures d’ouverture des bars peut contribuer à l’économie de la ville, mais il faudrait que ce concept soit beaucoup plus que cela. Cessons d’utiliser le terme « économie nocturne » et parlons plutôt de « vie nocturne ».

Si on veut atteindre cet objectif, il faut alors que les lieux publics, les parcs, les terrains de soccer ou de baseball, les gyms et les musées demeurent ouverts. Il faut, surtout, offrir un système de transports collectifs qui va se conjuguer à cette réalité.

Regardez notre réaction quand arrive la fameuse Nuit blanche de Montréal. Nous devenons fous comme des balais. La ville le devient aussi. Elle adopte un autre visage. Notre rapport avec elle change complètement. Notre sentiment de sécurité à son égard également. Une ville habitée et vivante la nuit ne suscite pas la frayeur.

À quand un premier pas dans ce sens ? L’actuelle administration sera-t-elle celle qui fera bouger les choses ? On l’espère. Tout le monde pourrait y gagner. Car comme le dit si bien la chanson, « vivre dans la nuit, c’est de même que je veux faire ça ». Enfin, vous me comprenez !