J'avoue que lorsque j'ai vu la couverture de L'Obs, j'ai éclaté de rire. Un homme, torse nu, est assis à une table de cuisine. Il affiche un air déprimé. D'un côté, un petit chien le fixe. De l'autre, des fleurs fanent dans un pot. Au bas de la page, ce titre : « Être un homme (après #metoo) ».

Appelez un psy, Louise Deschâtelets ou un coach de vie au plus sacrant, ai-je pensé. Je me doute bien que l'effet #metoo a été dur pour les hommes, mais à ce point ? J'ai quand même plongé dans la lecture de ce dossier composé de plusieurs articles. Celui sur l'« aventure initiatique » des Nouveaux Guerriers, une thérapie d'un week-end à laquelle a participé anonymement un journaliste, m'a rendu perplexe.

L'épisode où les 80 participants se rassemblent en pleine nuit, autour d'un feu, complètement nus, m'a fait m'interroger sur le but réel de cette expérience. Quant à la scène où les hommes s'adressent à leur sexe, elle m'a sidéré. Mais qui suis-je pour juger, moi qui faisais de la méditation et des Om en forêt avec un groupe d'amis à l'âge de 23 ans ?

Le dossier de L'Obs a quand même le mérite de poser les bonnes questions quant au « choc » que les hommes ont vécu depuis le début du mouvement #metoo. Un choc qui a eu pour effet de réduire au silence une majorité d'entre eux. Ceux-ci ont été incapables (ou presque) de décrire le malaise qu'ils avaient, sinon le dégoût qu'ils éprouvaient pour leurs confrères abuseurs.

« De façon générale, les hommes se retrouvaient auscultés comme des cas pathologiques, des personnes à rééduquer. »

- Le journaliste David Le Bailly, dans le plus récent numéro de L'Obs

David Le Bailly revient sur les propos du cinéaste Michael Haneke, qui, tout en reconnaissant que toute forme de viol ou de contrainte sexuelle doit être sanctionnée, s'indignait contre « un nouveau puritanisme empreint d'une haine des hommes ».

Dans ce dossier, on alterne sans cesse entre patriarcat et masculinité, deux concepts fort différents, à mon avis. Si le premier subit depuis fort longtemps une refonte majeure, ce qui redessine du coup la sphère familiale et marque « la fin de la domination masculine » ou de la « puissance paternelle », le second concept constitue un chantier majeur en devenir. La redéfinition de la masculinité, c'est l'échangeur Turcot des hommes.

Que reste-t-il aux hommes ? Quelles valeurs portent-ils ? Et surtout, à quoi servent-ils ? se demande l'auteur du reportage. « On demande l'impossible aux hommes. On leur demande d'être forts et faibles, durs et attentionnés, puissants et sans pitié dans le monde du travail, et doux comme des agneaux à la maison. Comment être un homme face à toutes ces demandes contradictoires ? C'est ce que j'appelle la virilité vrillée », a écrit l'auteure Nancy Huston à ce sujet.

Oui, la masculinité est à revoir. Elle est à revoir en fonction des revendications justifiées des femmes, en fonction de la juste évolution des choses. Mais revoir la masculinité ne veut pas dire bâillonner l'homme, l'empêcher d'être ce qu'il a toujours été depuis la nuit des temps, lui demander de renoncer aux choses et aux valeurs avec lesquelles il est en harmonie.

J'ai lu durant mes vacances un livre franchement rigolo qui nous réconcilie avec l'homme québécois ordinaire qui a juste envie... d'être un homme ordinaire tout en rendant les gens autour de lui heureux.

Dans Des réguines et des hommes, Julie Myre-Bisaillon raconte son expérience de femme vivant à la campagne (à Saint-Mathias-de-Bonneterre) avec un Homo patentus ou, si vous préférez, un amateur de réguines.

Qu'est-ce qu'une réguine ? C'est une patente, un bidule, une gogosse qui sert à régler un problème. À la campagne, sans doute plus qu'en ville, on apprend vite à réguiner, à barguiner et à troquer.

Fonctionner avec de la réguine, c'est aussi accepter de vivre dans un cadre broche à foin. « J'ai appris que ça n'a pas juste du bon, les machines, écrit Julie Myre-Bisaillon. J'ai aussi compris pourquoi ça fait autant de bruit. C'est pour enterrer l'autre bruit. Celui du chum qui sacre après la réguine. »

En quittant la ville pour venir vivre avec ce gentleman maraîcher, l'auteure a découvert que le mode d'organisation des hommes était très différent de celui des femmes. « Il faut apprendre à trouver cela drôle », dit-elle. Elle a aussi découvert que son chum, en « vrai gars », ne discute pas avec les vendeurs des quincailleries, mais qu'il dialogue volontiers avec les matériaux et les outils.

Finalement, elle a appris une chose essentielle dans la vie d'une conjointe de cultivateur : elle a appris comment « piner un trailer », c'est-à-dire attacher une remorque à un véhicule. Une soirée romantique commence donc par un « pinage de trailer ». Elle est suivie d'une tournée des quincailleries et des brocantes du coin et prend fin avec une bonne bière sur la terrasse d'un bar.

Ce livre qui vous fera rire d'un rire réconfortant en dit long sur la culture québécoise, sur le couple québécois, sur l'homme québécois. Pas de profondes remises en question ici, pas de thérapie flambant nu autour d'un feu, juste un petit bonheur tranquille fait de respect, d'amour, d'humour et de masculinité assumée.

Le mouvement #metoo a créé un malaise chez les hommes, les a parfois contraints au silence. Doucement, tout doucement, ils sont en train de réapprendre ce que c'est qu'être un homme au XXIe siècle. Ils connaissent maintenant mieux les limites de l'acceptable et de l'inacceptable, ils connaissent mieux les attentes des femmes.

Les hommes sont prêts à troquer de vieilles valeurs contre de nouvelles, ils sont prêts à changer, à évoluer. Mais pour ce qui est de leur attachement aux réguines, désolé, c'est non négociable.

***

Des réguines et des hommes

Julie Myre-Bisaillon

Hurtubise

220 pages

image fournie par l’éditeur

Le plus récent numéro de L'Obs

image fournie par hurtubise

Des réguines et des hommes