Les États-Unis sont un pays fait de contrastes. Nous en avons eu une fois de plus la preuve au cours du dernier week-end. À peine une trentaine d'heures ont séparé une manifestation historique, menée par des figures fortement inspirantes, et la diffusion d'une entrevue avec une actrice porno venue dévoiler les détails croustillants d'une liaison avec Donald Trump.

La présentation hier soir, à l'émission 60 Minutes, d'un entretien avec Stormy Daniels (Stephanie Clifford de son vrai nom), actrice et productrice lauréate de 40 prix de l'industrie du porno, avait quelque chose de troublant, mais aussi un air de déjà-vu.

Chemisier rose, coiffure soignée, la femme de 39 ans est venue raconter avec beaucoup d'aplomb sa rencontre avec Donald Trump et la relation sexuelle qu'elle dit avoir a eue avec lui dans une chambre d'hôtel en 2006, après un tournoi de golf, près du lac Tahoe, alors que celui-ci était marié.

Rien de nouveau n'a été dévoilé lors de cette entrevue menée par Anderson Cooper. Le reportage du Wall Street Journal, il y a deux mois, et l'entrevue que Stephanie Clifford a accordée au magazine In Touch, le mois dernier, rapportaient déjà tous les détails.

Les détracteurs de Donald Trump peuvent se réjouir de cet affront que fait subir Stephanie Clifford au président américain. J'en fais partie. Mais en même temps, je vous avoue éprouver un énorme malaise face à ce qui est utilisé pour attaquer celui qui a fait de l'expression «fake news» son mantra.

Donald Trump n'est pas, dans ce cas-ci, visé par des questions de malhonnêteté. On ne l'accuse pas d'actes criminels. On ne lui attribue pas de malversations. 

Il n'est pas question non plus d'agression sexuelle ou de relation non consentie. Il est question ici (si les affirmations de Stephanie Clifford sont véridiques) d'une relation consentie. Point.

On attaque donc Donald Trump sur une question de morale. La fameuse morale si bien défendue par les Américains.

Je regardais cette entrevue, hier soir, et j'avais la curieuse impression d'assister à une énorme machination dont le but est d'enrichir certaines personnes. Stephanie Clifford a-t-elle réalisé que les 130 000 $ qui lui ont été versés pour son silence sont des pinottes à côté de ce qu'elle pourrait toucher en faisant éclater cette histoire au grand jour?

Plusieurs fois au cours de l'entrevue, Stephanie Clifford a nié la chose, même si elle reconnaît qu'elle aura sans doute plus de propositions professionnelles dorénavant. En tout cas, disons que son avocat, Michael Avenatti, met beaucoup d'ardeur à faire monter la mayonnaise.

Jeudi dernier, Avenatti a publié sur les réseaux sociaux la photo d'un DVD accompagnée de cette question : «Si une image vaut mille mots, combien de mots celle-ci vaut-elle?» Tout cela dans le but, évidemment, de faire mousser les cotes d'écoute de l'entrevue d'hier soir.

On est en face d'un scénario typiquement hollywoodien. Une actrice porno qui semble être guidée par des intérêts, des avocats qui tirent habilement les ficelles, des diffuseurs qui se pourlèchent les babines...

Tout le monde tire la couverture à soi. Hier soir, sur un site qui présente les films de Stormy Daniels, on couronnait la section qui lui est consacrée d'un slogan au goût douteux : «Get a presidential experience with Stormy Daniels».

Ce qui est dommage dans cette affaire, c'est que Stephanie Clifford, tout comme Karen McDougal, ancienne playmate de Playboy qui a annoncé la semaine dernière qu'elle voulait elle aussi se libérer d'un engagement de confidentialité avec Trump, font du tort aux femmes qui ont porté plainte contre le président pour agression sexuelle ou comportement sexuel abusif.

Stephanie Clifford a répété à quelques reprises hier soir qu'elle n'était pas une victime dans cette affaire. J'espère que cela continuera à dissiper le flou qui règne dans l'opinion publique.

Il ne faudrait surtout pas confondre ce type de témoignage et d'autres plaintes comme celle qui a été formulée par Summer Zervos, une ancienne candidate de l'émission The Apprentice, que Trump a animée. Cette jeune femme a officiellement déposé une plainte pour harcèlement sexuel.

L'affaire Stormy Daniels comporte cependant un aspect très important qui pose une question cruciale : le paiement des 130 000 $ versés à l'actrice afin d'obtenir son silence était-il légal ou non? 

Dans le contexte où il a été fait (l'avocat de Trump affirme avoir utilisé son propre argent), ce montant représente-t-il une contribution électorale détournée?

Un expert interviewé hier à 60 Minutes est formel : ce versement contrevient aux règles d'éthique. La Commission électorale fédérale, l'organisme indépendant chargé de faire appliquer la loi sur le financement des élections aux États-Unis, et le département de la Justice doivent examiner cette affaire. Ils tenteront d'établir si ce transfert d'argent viole les lois électorales et constitue un geste fait dans le but d'influencer l'élection.

Il n'est pas facile de sortir la politique de la chambre à coucher. On en a une fois de plus la preuve. Les deux n'ont rien en commun, pourtant ils s'attirent comme deux aimants. C'est ce qu'ont dû se dire hier soir de nombreux Américains. Et parmi ceux-ci, il devait y avoir sans doute Hillary Clinton.

L'ex-adversaire de Donald Trump a dû repenser à ce qu'elle a vécu en 1998 durant l'affaire Monica Lewinsky. Elle a dû également penser à Melania Trump, la femme la plus humiliée en ce moment aux États-Unis.