Ainsi donc, les personnages de la cultissime série Friends seraient homophobes, racistes et grossophobes. C'est le quotidien britannique The Independent qui a lancé ce pavé dans la mare il y a quelques jours, alors qu'une journaliste a voulu savoir ce que la génération des milléniaux pensait de la série nouvellement offerte sur Netflix (au Royaume-Uni).

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Les jeunes téléspectateurs qui ont regardé la série de NBC ont exprimé leur «malaise» devant certaines répliques touchant les relations hommes-femmes et les membres de la communauté LGBT.

L'immense crainte de Chandler et Ross d'avoir l'air gais, les mauvaises blagues sur l'obésité de Monica à l'adolescence, les commentaires négatifs au sujet du père de Chandler devenu travesti et l'absence flagrante de personnes provenant de minorités culturelles (il a fallu attendre plusieurs années avant de voir apparaître des comédiennes noire ou asiatique pour jouer les copines de Ross), tout cela a sauté aux yeux de la génération qui découvre la série 17 ans après la diffusion de son dernier épisode.

J'ai été un méga-fan de cette sitcom qui réussissait à attirer en moyenne 25 millions de téléspectateurs chaque semaine aux États-Unis.

Friends fut, avec Cheers, M.A.S.H. et Seinfeld, l'une des téléséries américaines les plus regardées de l'histoire.

Chacun des six comédiens recevait 1,2 million de dollars par épisode (la légende veut que Jennifer Aniston, Courteney Cox, Lisa Kudrow, Matt LeBlanc, Matthew Perry et David Schwimmer aient toujours négocié leur salaire main dans la main afin d'obtenir l'équité).

Friends a symbolisé les valeurs de toute une génération lorsque la série est apparue en 1994. Elle était considérée comme avant-gardiste. Mentionnons seulement le thème des mères porteuses qui avait fait beaucoup de bruit à l'époque (le personnage de Phoebe accepte de porter les triplés de son frère). Je n'ai pas manqué un seul épisode des 10 saisons. Et même après la fin de la série, en 2004, j'ai continué de m'offrir régulièrement quelques épisodes quand j'avais envie de mettre mon cerveau au neutre ou d'accompagner un rhume.

Les premières notes de l'indicatif des Rembrandts sont devenues une sorte de madeleine de Proust pour moi : j'entends «So no one told you life was gonna be this way...» et je suis transporté. Je retrouve Rachel et Monica, deux modestes travailleuses (la première est vendeuse dans un grand magasin et l'autre est chef cuisinière dans un restaurant) qui vivent dans un appartement new-yorkais dont le loyer doit tourner autour de 10 000 $ par mois et je suis de bonne humeur. Je vois Ross et Rachel se raccommoder pour la 86e fois et je me sens revigoré.

J'ai revu récemment plusieurs épisodes (je connais chacune des 236 intrigues par coeur). Et, outre le fait que j'ai trouvé que les personnages masculins portaient tous des vêtements très grands, j'ai eu le sentiment que quelque chose sonnait faux. J'en ai même parlé à mon entourage, me risquant à l'épineuse question : trouvez-vous que Friends fait un peu mononcle?

À plusieurs reprises, j'ai dénoté un comportement homophobe désagréable de la part des personnages masculins (ceux-là mêmes qui n'hésitent pas à aller dans un bar de stripteaseuses pour se remettre d'une déception amoureuse).

Je pense à l'épisode où Joey décide de porter un sac à main pour homme, au grand désespoir de Chandler. Ou encore à celui où Joey offre un bracelet à Chandler et en porte un autre similaire en guise de symbole de leur amitié (Chandler n'arrive pas à dissimuler son grand malaise). Ou encore celui où Ross découvre que son fils, élevé par son ex-femme lesbienne, s'amuse avec une Barbie. Durant tout l'épisode, il se fendra en quatre pour intéresser son fils à des jouets plus masculins.

Certes, on pourrait penser que ces intrigues furent créées pour rire de l'attitude des personnages. Mais ce n'est pas ainsi que les milléniaux l'ont reçu. Pour eux, cet humour ne passe tout simplement plus en 2018. J'aimerais, avant d'aller plus loin, ajouter que l'échantillonnage de ces jeunes téléspectateurs est à prendre avec des pincettes, car, depuis quelques jours, j'ai entendu plusieurs parents me dire que leurs enfants découvrent cette série avec bonheur et qu'ils ne voient pas les choses ainsi.

On pourrait également penser que l'obsession du révisionnisme ou de la rectitude politique qui caractérise notre époque dépasse ici les bornes. D'abord, il faut dire qu'on ne demande nullement aux diffuseurs de ne plus présenter la série : on dit tout simplement que tout cela a pris de la bouteille et que nous portons maintenant un regard différent sur les choses.

Entre 2004 et aujourd'hui, beaucoup de choses ont changé. Les sociétés ont été sensibilisées au très grave problème de l'intimidation. Or, les fragilités prises pour cible par les intimidateurs sont justement les thèmes qui passent mal aujourd'hui dans la série Friends. Les jeunes intimidés dans les cours d'école le sont pour leur différence sexuelle, physique ou raciale.

Je comprends parfaitement les milléniaux de sursauter à ces blagues machistes, racistes ou homophobes. Depuis leur tendre enfance, on leur dit qu'il faut apprendre à vivre avec tout le monde et accepter les différences des autres. Il est tout à fait normal qu'ils trouvent que les personnages de Friends sont d'un autre temps.

Ainsi va la vie! Les téléséries sont le miroir de notre société. Elles sont un polaroïd d'un moment précis. Mais ces photos jaunissent et vieillissent vite. Très vite. Peut-être même encore plus vite qu'autrefois.

Ces polaroïds nous rappellent que nous gagnons en rides à la vitesse de l'éclair. Mais aussi que nous évoluons à la vitesse de l'éclair. Et ça, c'est une bonne nouvelle.

La génération de Friends réalise aujourd'hui que ce qui était ultracool il y a 20 ans ne l'est plus aujourd'hui. Voilà le triste passage obligé de toutes les séries télévisées. Quelle famille!, Moi et l'autre, Rue des pignons, Des dames de coeur, Watatatow et Lance et compte ont connu cette réalité. Ces séries, on les a d'abord regardées avec fierté en se retrouvant dans chacune des scènes. On les regarde maintenant en se moquant d'elles afin de nous en distancier. Mais ces séries, qu'on le veuille ou non, continuent quand même de raconter nos vies.

Alors, faisons comme les milléniaux et abordons ces trucs vintage pour ce qu'ils ont représenté, pas pour ce qu'ils devraient encore véhiculer.