Ainsi donc, on ne veut plus de nudité dans les vestiaires des piscines de Brossard. Cette décision a été prise à la suite de quelques plaintes (une dizaine au cours de la dernière année) que les responsables des installations aquatiques ont reçues.

À l'instar d'autres piscines, celles de Brossard adoptent le principe de « nudité zéro ». On demande aux gens de se dévêtir ou de se rhabiller dans des cabines. On spécifie bien qu'il ne s'agit pas d'un règlement, mais d'une consigne.

Vous vous demandez peut-être si tout cela ne découle pas de demandes d'accommodements raisonnables. On m'a juré que non. La présidente de l'Association des responsables aquatiques du Québec (ARAQ), Lucie Roy, m'a dit que les plaintes reçues par ses membres concernent très peu les questions religieuses.

Mme Roy m'a plutôt parlé d'un problème de mixité. La présence d'adultes nus devant des enfants et la cohabitation avec des personnes transgenres seraient à la source d'une vaste réflexion que les membres de l'ARAQ ont en ce moment. L'association a même créé une sorte de babillard afin de permettre aux membres de s'exprimer sur le sujet.

Le concept de « vestiaire universel » mis de l'avant par Brossard connaît une grande expansion. Et pas seulement chez nous. Les piscines et les centres sportifs datant de quelques années incitent les usagers à imiter la façon de faire de la Ville de Brossard. Certains endroits ont aussi créé des « vestiaires familiaux » où les parents peuvent aller avec leur enfant s'il est âgé de 7 ans ou moins.

Le concept de « vestiaire universel » atteint toutefois son paroxysme avec les nouvelles piscines. Il prend la forme d'une salle commune vitrée visible depuis la piscine dans laquelle tout le monde peut entrer. Une fois à l'intérieur de cette aire, les personnes peuvent se dévêtir dans une cabine individuelle ou familiale, et elles peuvent prendre leur douche en privé. Bref, tout le monde peut cacher ce qu'il a à cacher.

À première vue, cette manière de faire ne me pose pas de problème. Après tout, on ne va pas dans un vestiaire pour se dandiner à poil. On y va pour se préparer à faire du sport. Mais j'avoue que j'ai un problème avec cette pudeur à plusieurs vitesses.

D'un côté, on veut qu'on se cache le zizi (je parle pour moi, bien sûr) dans les vestiaires. Mais d'un autre côté, on réclame des plages nudistes ou le droit d'être seins nus, on fait la promotion du « body positivism » et on chante les louanges du « naked yoga ».

On est en train de créer un clivage de plus en plus grand entre les personnes pudiques et ces « dépravés » qui n'ont pas peur de la nudité. « Si vous voulez être nu, allez le faire entre vous ! » C'est ça, le message qu'on envoie.

Je n'ai absolument rien contre ceux qui préfèrent enfiler leur maillot derrière un rideau. Ils ont le droit de le faire. Mais ne créons pas d'obligation non plus, n'indiquons pas le chemin de la cabine à ceux qui n'en ressentent pas le besoin. Les vestiaires communs existent depuis que les piscines et les centres sportifs existent. Et là, tout à coup, on entre dans l'ère de la cabine privée.

Les Québécois se sont débarrassés d'une culpabilité qui pesait lourd avant la Révolution tranquille. En quelques années, on est passé des fameux « dors les mains sur la couverture » à une liberté qui nous a fait progresser rapidement sur tous les plans. Ça serait trop bête de reculer.

Et dire qu'on fait tout cela pour qu'un enfant ne puisse pas voir un adulte nu alors qu'il sera adulte un jour. On fait tout cela pour ne pas voir le corps flétri des personnes plus âgées alors qu'on aura tous le corps flétri un jour. On fait tout cela pour ne pas voir d'autres gens nus alors que notre quotidien nous renvoie sans cesse des images de nudité.

La nudité passe quand elle est dans un magazine, dans un film ou dans un bar de danseuses. La nudité passe quand elle est enrobée de fantasmes. Mais quand elle est au naturel et sans artifice, sous les néons d'un vestiaire, cette nudité-là devient inacceptable.

Vous ne trouvez pas que tout cela est d'une hypocrisie sans borne ?

Nous demandons à Adam et à Ève d'aller se changer dans une cabine. On va bientôt leur demander de jeter leur pomme aux poubelles.