Grâce à ma belle-famille, j'ai eu le bonheur de connaître Neil Chotem. Pour l'homme de ma génération, il était le fabuleux musicien et arrangeur de toute une génération d'artistes (Marie-Claire Séguin, Paul Piché, Michel Rivard). Il était surtout le compositeur et chef d'orchestre génial de L'heptade, celui qui a donné à cette oeuvre musicale une dimension jamais égalée au Québec.

Quand je le voyais, avec celle qui a partagé sa vie pendant 40 ans, Françoise Riopelle, j'en profitais pour lui poser mille questions sur cette aventure, sur la création de ce disque, sur la manière dont il avait croisé le chemin de cette bande de jeunes musiciens diamétralement opposés à ce qu'il était en apparence. Car derrière ses traits de vieux British conservateur, Neil Chotem était un homme d'une très grande ouverture.

Originaire de Saskatoon et devenu québécois d'adoption dans les années 50, Neil Chotem a toujours conservé un accent anglais très prononcé. Son français était toutefois impeccable. Toujours muni de son fume-cigarette, il aimait discuter.

C'était quelqu'un qui prenait le temps de réfléchir. Avec lui, les phrases avaient un sens. Neil Chotem était un sage. Un vrai.

C'était quelqu'un qui pouvait difficilement dire du mal d'un artiste. Il a côtoyé de très nombreuses chanteuses (Monique Leyrac, Renée Claude, Lucille Dumont, etc.). Le compliment suprême au sujet de l'une d'elles prenait la forme de: «Elle chantait toujours juste.» Il se foutait qu'une chanteuse eût été désagréable ou eût manqué de professionnalisme. Tout ce qui comptait à ses yeux, c'était qu'elle chantait juste.

Après l'aventure de L'heptade, il a lancé Vers l'infini, un disque magnifique où il présente quelques compositions et partage sa passion pour deux grands compositeurs: Satie et Chopin. Peu après, en 1979, les membres d'Harmonium et Marie-Claire Séguin ont présenté avec lui un spectacle dont on a tiré un enregistrement mythique (je pèse mes mots), Neil Chotem au El Casino. Je ne comprends toujours pas pourquoi une maison de disques ne lance pas une version numérique de cet album. Cacher au public ces moments de grâce est un péché.

Je me souviens très bien de ce spectacle. Je l'ai vu à Camp Fortune, dans le parc de la Gatineau. Neil Chotem commençait seul au piano. Puis, au fil des pièces, les membres s'ajoutaient. Quand arrivait Fiori, c'était l'hystérie.

Le public voulait de l'Harmonium. Or, c'était au tour de Neil Chotem de montrer son savoir-faire. Je me souviens que Fiori a dû prendre la parole pour ramener le public à la raison.

Durant cette tournée, Fiori avait des moments de découragement. Il avait du mal à composer avec cet amour démesuré du public. Parfois, il se retrouvait dans une loge avec Neil Chotem. Les deux hommes discutaient de ce métier qui peut à la fois vous rapprocher des étoiles et vous faire plonger dans l'abîme. Comme tout le monde le sait, Fiori a finalement pris la décision de ne plus faire de scène.

Je me suis souvent demandé ce qui avait bien pu faire en sorte que les membres d'Harmonium soient allés vers Neil Chotem. Pensez-y: une bande de jeunes aux cheveux longs au début de la vingtaine qui décident de faire un disque avec un compositeur de 56 ans qui a découvert le jazz lorsqu'il était dans l'Aviation royale en 1942. Un tel écart générationnel est difficilement imaginable aujourd'hui.

Les jeunes ont du mal à apprécier la richesse des plus vieux. Ils les repoussent. Ils ont peur d'eux. Ils n'ont pas besoin d'eux et ils leur font bien sentir. Je trouve cela très dommage.

Le génie de L'heptade tient justement dans cette rencontre, celle d'une créativité débridée de sept jeunes et de la sagesse d'un compositeur et chef d'orchestre qui en avait vu d'autres (Neil Chotem a créé le Concerto de Québec d'André Mathieu pour le film La forteresse, en 1947) et qui est demeuré profondément de son temps durant toute sa carrière.

Neil Chotem nous a quittés en 2008. Il laisse derrière lui un trésor musical inestimable. De ses premiers récitals en tant que pianiste qui ont fait dire au grand Arthur Rubinstein qu'il était promis à un brillant avenir jusqu'à ses compositions musicales marquées d'une empreinte qui n'appartenait qu'à lui, son héritage est grand.

On raconte souvent que lorsque Fiori et d'autres membres d'Harmonium sont arrivés à la salle Claude-Champagne de l'école Vincent-d'Indy et qu'ils ont entendu pour la première fois Neil Chotem diriger les passages orchestraux de L'heptade, ils ont été pris d'une grande émotion. Ils ont compris que leur oeuvre s'élevait. Ils ont compris qu'un homme de grande valeur en prenait soin.