On a tort de croire que l'été n'est fait que pour les nouvelles gaies et légères, comme la visite de Madonna à Cuba, la nouvelle coupe de cheveux de Céline ou les photos de Justin Bieber à poil.

C'est l'été qu'on peut apprendre que la Corée du Nord a repris la production de plutonium, que 20 000 personnes sont toujours en détention en Turquie depuis le coup d'État raté du 15 juillet et que, victime de ses nombreux dérapages, Donald Trump a décidé de remanier son équipe de campagne pour la deuxième fois.

C'est aussi l'été qu'on peut découvrir que les crimes haineux ont augmenté de 39 % au Québec au cours de l'année 2014. Dans le dossier que nous a présenté hier mon collègue Louis-Samuel Perron, on apprenait que sur les 257 crimes haineux répertoriés, 80 étaient guidés par la haine contre la « race ou l'ethnie ». De ce nombre, 70 % avaient été commis à Montréal.

En découvrant ces tristes statistiques, je me suis demandé ce qui pouvait bien inciter quelqu'un à attaquer une communauté tout entière de manière anonyme en faisant des graffitis sur une synagogue, en déposant une tête de porc devant une mosquée ou en dessinant des croix gammées sur des véhicules.

Est-ce que les auteurs de ces gestes sont menés par une réelle énergie raciste ? Sont-ils juste guidés par une envie de jouer au jeu de la provocation ? Sont-ils simplement victimes d'un effet d'entraînement ?

En d'autres mots, est-ce que les responsables de ces gestes sont réellement conscients de la portée de leur crime ? Je n'en suis pas totalement sûr. Je crois que certains de ces actes malheureux sont commis dans la plus totale insouciance. J'entends par là qu'ils sont faits par des petits cons qui ne savent même pas ce qu'ils font.

Il est à souhaiter que « l'exercice sérieux » qu'entend faire Philippe Couillard sur le racisme au Québec nous permettra, entre autres, de démêler tout cela.

Mais inconscients ou pas, ces gestes demeurent très dommageables. Une fois les graffitis nettoyés, le sang lavé, la tête de porc mise à la poubelle, que reste-t-il ? Une communauté meurtrie, blessée, humiliée. Une communauté qui peut également sentir une rage monter au fond d'elle-même, cette rage qu'on a du mal à comprendre quand la télé nous renvoie des images d'émeutes.

Vous avez vu le film La haine de Mathieu Kassovitz ? Ça raconte une journée dans la vie de jeunes banlieusards et de policiers au lendemain d'une nuit d'émeutes en France. On suit particulièrement trois jeunes délinquants partagés entre le désir de se venger et celui de se créer une meilleure vie. C'est le film le plus puissant que j'ai vu sur l'autre haine, celle qui découle du sang de porc qu'on fait gicler sur les mosquées, celle qui naît des croix gammées qu'on tatoue sur les synagogues ou celle qui monte au coeur des jeunes immigrants sur lesquels la police s'acharne sans raison valable.

Cette autre haine arrive quand l'élastique lâche. Cette autre haine, quand elle rencontre la nôtre, ce n'est pas beau, ce n'est pas ce que l'on souhaite.

Pendant que certains compilent les crimes haineux au Québec, d'autres veulent interdire les burkinis sur les plages de France, se demandent s'il ne serait pas pertinent de republier le manifeste du nazisme Mein Kampf ou d'ériger un mur entre les États-Unis et le Mexique. Non, l'été n'est pas la saison des nouvelles innocentes. Nous en avons de beaux exemples en ce moment.

Au début du film La haine, on entend en voix hors champ un homme qui dit : « C'est l'histoire d'un homme qui tombe d'un immeuble de 50 étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu'ici tout va bien. »

Vingt ans après la sortie de ce film prémonitoire, nous sommes devenus ce personnage. On tombe du haut d'un gratte-ciel en voyant défiler des fenêtres qui renvoient des images de ségrégation, de racisme ou de montée de nationalisme exagéré. Et on se dit que jusqu'ici tout va bien ! Mais pour combien de temps ? Je vous le demande.