Vous savez quel est le projet le plus épineux en ce moment à Montréal ? Celui du réaménagement de la place Jacques-Cartier. Aborder ce sujet avec les divers acteurs impliqués, c'est un peu comme ouvrir la boîte de Pandore. Vous y trouvez toutes les composantes de la discorde que le projet suscite : des restaurateurs inquiets et en colère, une administration fonceuse, des organismes frileux et, en prime, pour le chroniqueur que je suis, des relationnistes très peu loquaces.

Retour en arrière : en janvier dernier, l'administration du maire Coderre a annoncé d'importants travaux de réaménagement de la place Jacques-Cartier dans le but de lui redonner du panache. Ce projet consiste principalement à déménager les terrasses des restaurants dans des structures permanentes vitrées qui seraient érigées dans l'allée centrale.

Cela aurait pour but de dégager les magnifiques bâtiments du XIXsiècle dont la beauté architecturale est cachée par les terrasses et les auvents des restaurants. Ce projet fait partie du legs que veut laisser la Ville de Montréal à ses citoyens pour le 375anniversaire de la métropole l'an prochain.

Le problème, c'est que la grande majorité des restaurateurs qui exploitent les rez-de-chaussée de ces immeubles n'ont pas envie de déménager leurs terrasses au centre de la rue. Une véritable guerre s'est donc engagée entre les commerçants et les responsables du projet.

Plusieurs rencontres ont eu lieu entre les deux parties au cours des derniers mois, mais ne semblent pas avoir porté leurs fruits. « C'est de la dictature », m'a dit cette semaine Sacha Bertola, propriétaire du restaurant Le Fripon. 

« Les responsables de la Ville notent nos demandes et nos recommandations et ne font rien. Ils nous ont dit qu'il y avait une volonté politique derrière ce projet et qu'ils fonçaient, quoi qu'il advienne. »

Le groupe d'une dizaine de restaurateurs a mandaté un avocat afin qu'il dépose une demande d'injonction pour stopper les travaux qui doivent débuter sous peu. Celle-ci devait être déposée il y a quelques jours, mais au dernier moment, l'avocat a décidé de modifier la stratégie. Il doit faire part de la nouvelle procédure au groupe de restaurateurs sous peu.

Du côté du maire Denis Coderre, on m'a confirmé du bout des lèvres qu'on « maintenait le cap ». Les travaux de 5 millions devraient commencer très prochainement et le nouvel aménagement devrait être inauguré en avril 2017.

Quant à Héritage Montréal, sa position demeure nébuleuse. La directrice de l'organisme, Marie-Claude Landry, n'a pas voulu me parler de ce dossier (on a prétexté un emploi du temps chargé). Son attaché de presse m'a fait parvenir deux phrases creuses par courriel disant qu'Héritage Montréal accueillait positivement « toute initiative de mise en valeur d'un bâtiment patrimonial », mais qu'au moment de retirer les installations actuelles, il fallait « minimiser l'impact qu'elles auraient sur les façades ». Euh ? Plus confus et plus fade que ça, tu meurs.

Mes appels à la Société de développement commercial du Vieux-Montréal ont tous été infructueux.

Pourquoi pensez-vous que la Ville de Montréal, Héritage Montréal et la SDC du Vieux-Montréal hésitent à me parler de ce projet franchement et de vive voix ou refusent de le faire ? Parce qu'ils tiennent tous pour acquis que je serais contre. Or, je suis pour à 100 %. Je ne me ferai pas d'amis auprès des restaurateurs de la place Jacques-Cartier, mais je crois que ce réaménagement va procurer une deuxième vie à cette place, comme c'est le cas pour la place d'Armes.

Je comprends les inquiétudes des restaurateurs. Selon eux, cette façon de faire va compliquer la vie des serveurs, qui vont devoir se frayer un chemin parmi les touristes pour servir les clients installés à environ sept mètres du resto. Ils pensent aussi qu'ils vont devoir modifier leur menu puisqu'ils ne pourront pas offrir tous les plats aux clients. Ils se demandent aussi ce qu'ils feront les jours de pluie.

D'octobre à avril, les propriétaires des restaurants démontent leur terrasse et retirent leur auvent. On découvre alors l'immense beauté de cette place, le coeur du Vieux-Montréal. Mais quand arrivent l'été et ses millions de touristes, nous sommes alors privés de ce spectacle. Ça n'a aucun sens. Entre les auvents et le patrimoine, je choisis le second.

Cette affaire nous dit à quel point il n'est pas facile d'apporter des changements dans une ville et de les faire accepter. Cela nous dit aussi qu'entre le commerce et l'esthétisme, le second a du mal à se frayer un chemin. Je souhaite qu'on aille jusqu'au bout avec ce projet et que chacun y trouve son compte : la beauté tout comme les profits.