Il y a plusieurs effets pervers liés au terrorisme. Le pire est sans doute celui que nous vivons en ce moment : l'accoutumance. Depuis l'attentat d'Orlando en juin, l'Occident est frappé presque au quotidien par des actes d'une grande barbarie. Hier, on a égorgé un prêtre dans une église. Demain, on s'en prendra peut-être à un groupe de femmes réunies dans un congrès ou à des enfants dans un musée.

Ces drames se succèdent et font couler leur sang devant notre indifférence grandissante. Ce n'est pas normal. Les directeurs de salles d'information se demandent si un attentat qui a fait des dizaines de victimes à Bagdad va autant capter l'attention des lecteurs que celui qui a fait quatre blessés dans un train en Allemagne. Ce n'est pas normal. Pour attirer l'attention du public sur la situation des enfants syriens victimes des terroristes, des médias ont publié des photos de gamins dans des ruines brandissant une affiche de Pokémon. Ce n'est pas normal.

Il y a quelques jours, j'ai vu passer ce message sur les réseaux sociaux : « Je suis Charlie, je suis Paris, je suis Bruxelles, je suis Orlando, je suis Istanbul... je suis épuisé ». Je crois sincèrement qu'il ne faut pas relayer ce genre de truc. Cela signifie qu'on baisse les bras, cela veut dire qu'on lâche prise. Il ne faut surtout pas dire aux monstres qui commettent des atrocités qu'on abdique. 

Même en cette période de vacances faites pour mettre « la switch à off », il faut continuer à regarder la mort en face. L'été que nous vivons est meurtrier, qu'on le veuille ou non.

Depuis plusieurs années, les monstres du groupe armé État islamique décapitent, brûlent ou jettent du haut d'un immeuble des innocents jugés impurs sous le regard complètement blasé de leurs disciples. Et maintenant, ça serait à nous de fermer les yeux sur ces gestes immondes ? En serions-nous là ?

Des observateurs s'inquiètent de la banalisation de la violence qui s'est installée dans plusieurs pays, notamment au Liban. Les citoyens seraient devenus fatalistes. Qu'en est-il des Français durement éprouvés depuis plusieurs mois (l'attentat survenu hier à Saint-Étienne-du-Rouvray est le 9e depuis janvier 2015) ?

Entre désolation, rage, peine et saturation, les Français espèrent désespérément un moment de pause. Mais cette trêve ne vient jamais. Les auteurs des attentats savent très bien que ce sont les attaques à répétition qui affaiblissent une nation. En visant particulièrement la France, l'EI tente d'envoyer un message aux autres pays. Ils disent : « Vous voyez ce qui se passe avec un pays qui se montre interventionniste sur la scène internationale et qui s'engage dans des pays où Daech est présent ». Il faut le reconnaître, la France sert tristement de bouc émissaire dans cette vaste et sauvage opération.

Un autre effet pervers du terrorisme est la division qu'il engendre. On assiste en ce moment à un clivage de plus en plus prononcé entre les gens au pouvoir et ceux qui aspirent à l'obtenir sur la manière de lutter contre la radicalisation, cheval de bataille de cette guerre. 

Donald Trump et Nicolas Sarkozy sont prompts à dire qu'on ne met pas en place « tous les moyens nécessaires » pour combattre le terrorisme sans en dire davantage sur les moyens qu'ils utiliseraient s'ils étaient au pouvoir. Cette manière de tirer profit d'une situation si dramatique est aussi inutile que lamentable.

Cette division rejoint évidemment la population et fait craindre une perte de contrôle. Hier, des politiciens prédisaient un embrasement de la société française. Si cela devait arriver, le terrorisme aurait atteint l'un de ses objectifs : la fragmentation du peuple.

Entre cette banalisation de la violence et les menaces de discordes civiles, il faut trouver la force de passer à travers cet été meurtrier et de continuer à y voir clair. Il faut trouver le courage de poursuivre le combat contre la radicalisation en s'attaquant aux nids, qu'ils soient dans des pays musulmans ou chez nous. C'est le seul moyen de s'en sortir. C'est le seul moyen de mettre fin à ce cauchemar universel.