Virginia Woolf faisait partie de ce que Marcel Proust appelait la famille des nerveux, ces gens qui étaient pour l'auteur du Côté de Guermantes le «sel de la terre». Régulièrement, elle faisait des dépressions dont elle arrivait à se sortir chaque fois plus meurtrie, chaque fois plus alanguie. Lasse de combattre ce terrible mal, la célèbre auteure anglaise a mis fin à ses jours en se noyant dans les eaux de la rivière Ouse, près de Monk's House, dans le village de Rodmell, en Angleterre.

Monk's House a joué un rôle important entre ses crises. C'est là qu'elle se reconstruisait, qu'elle trouvait la force d'avancer, d'écrire. Monk's House existe toujours. Cette ancienne maison qu'elle avait achetée avec son mari Leonard en 1919 lors d'une vente aux enchères est aujourd'hui un lieu de pèlerinage pour ses fans.

Un livre magnifique vient de paraître sur l'histoire de cette maison, mais surtout de ses jardins. Dans Le jardin de Virginia Woolf - Histoire du jardin de Monk's House, tout est raconté, tout est montré. Avis aux amateurs de jardins anglais, certaines photos font mal tellement elles sont belles.

Deux après-midi par semaine, sept mois par année, Monk's House s'offre aux passionnés de Virginia Woolf curieux de... Curieux de quoi, au fait? Que viennent faire les visiteurs dans les maisons d'écrivains? Que viennent-ils y chercher? Qu'espèrent-ils y trouver?

Avez-vous déjà visité la maison d'un auteur ou d'un personnage célèbre? Il s'agit d'une expérience pour le moins troublante. 

D'abord, ce lourd silence que tout le monde adopte de peur de déranger l'occupant inexistant. Mais surtout, ce terrible sentiment de «sentir» sa présence. On aperçoit ses stylos sur le secrétaire, ses cartes à jouer, ses lunettes... On a l'impression qu'il va entrer dans la pièce et vous dire: «Mais qu'est-ce que vous faites là? Foutez le camp!»

Jean Cocteau à Milly-la-Forêt, Ernest Hemingway à Key West, Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye... Autant d'endroits devenus des lieux de culte où les décors, la plupart du temps reconstitués, offrent une idée plus ou moins juste du quotidien des personnages adulés. Certains visiteurs préfèrent retrouver la nature que l'écrivain a connue et humée de son vivant (les trois quarts des maisons d'écrivains en Europe ont des jardins ou des parcs).

Partout dans le monde, on retrouve des maisons d'écrivains. Celles-ci sont devenues plus nombreuses et populaires que les autres résidences d'hommes et de femmes célèbres provenant du monde de la politique, de la musique ou de la peinture. Pourquoi ce «sacre de l'écrivain»?

Cet intérêt proviendrait, selon certains spécialistes, du pouvoir particulier que possède l'écrivain, ce que certains appellent l'inspiration. La maison de l'écrivain en est l'écrin et elle le demeure après sa mort. Les visiteurs ne viennent pas retrouver nécessairement l'auteur, mais la coquille qui a accueilli le souffle créateur de son oeuvre.

Une étude du ministère français de la Culture datant de 2012 nous apprend que la France compte 185 maisons d'écrivains. Leur apparition a commencé au XIXsiècle pour connaître un grand pic dans les années 80 et 90. C'est à ce moment que le quart des maisons d'écrivains ont été créées en France.

Il paraît qu'en France, on fait une nette distinction entre les associations d'Amis des maisons d'écrivains et les associations d'Amis des auteurs. Les premiers s'occupent de l'homme, alors que les seconds s'intéressent à son oeuvre. On pourrait discuter de cela très longtemps.

Le phénomène des maisons d'écrivains continue de prendre de l'expansion. L'approche muséale ne cesse de s'améliorer et le public s'accroît chaque année. En France, les maisons d'écrivains retiennent l'attention de l'État et un organisme les chapeaute: la Fédération nationale des maisons d'écrivains et des patrimoines littéraires.

Au Québec, les maisons d'écrivains sont rares. La plus connue est celle où Louis Hémon a écrit Maria Chapdelaine, à Péribonka. Il y a aussi la maison de Félix Leclerc à Vaudreuil, récemment inaugurée. À Sainte-Anne-de-Sorel, sur l'îlette au Pé, on retrouve la maison où Germaine Guèvremont a écrit les romans Le survenant et Marie-Didace.

Chez nous, on préfère souvent créer un endroit nouveau pour souligner la mémoire des grands auteurs. C'est le cas de l'Espace Félix-Leclerc à l'île d'Orléans et de l'espace Claude-Henri Grignon à la maison de la culture de Saint-Jérôme.

Loin de moi l'idée de chasser les gens qui occupent actuellement les maisons où ont vécu Gérald Godin, Anne Hébert ou Roger Lemelin, mais je crois qu'une réflexion s'impose sur la manière de préserver ces lieux.

D'ailleurs, je ne comprends toujours pas pourquoi rien n'a été fait pour préserver l'appartement de la rue Fabre où a grandi Michel Tremblay. Le romancier et dramaturge est entré au panthéon des grands auteurs québécois depuis longtemps et cet appartement fait partie de notre imaginaire, de notre histoire.

Au fond, il y a quelque chose d'émouvant dans le geste que pose le lecteur amoureux d'un écrivain en venant dans sa demeure. C'est un peu comme une amoureuse abandonnée venue attendre sur le quai de la gare un amant qui ne viendra pas. L'amoureuse attend. Elle espère. Elle imagine surtout.

Sur ce, je vous dis au revoir. Je prends la clé des champs pour quelques semaines. Je reviendrai quelque part en juillet. Soyez sages.

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Le jardin de Virginia Woolf - Histoire du jardin de Monk's House. Caroline Zoob. Éditions du Massin.