Lors de la préparation de la soirée des Rencontres La Presse du 5 mai dernier, mes collègues chroniqueurs (Petrowski, Dumas, Cassivi) et moi avons eu une discussion sur l'évolution de notre métier.

Comment étaient nos prédécesseurs ? Comment travaillaient-ils ? Étaient-ils aussi redoutables qu'on le dit ou avaient-ils une approche dite « éducative » ? Toutes ces réponses se trouvent dans un fabuleux ouvrage qui vient de paraître : Chroniques des arts de la scène à Montréal durant l'entre-deux-guerres.

Les six auteurs de cet essai ont épluché les six grands journaux de cette période (1919-1939), c'est-à-dire La Presse, Le Canada, La Patrie, Le Devoir, The Gazette, The Montreal Star. Ils ont rassemblé, lu et analysé toutes les critiques de danse, de théâtre et de musique, ainsi que les chroniques hebdomadaires. Il est d'ailleurs intéressant de voir que, déjà à cette époque, on fait une nette distinction entre les deux approches. La chronique permet un recul et offre une réflexion générale sur un sujet culturel. Elle sert également d'outil de « militantisme » pour les signataires, la plupart des nationalistes, qui n'hésitent pas à multiplier les demandes, tantôt pour une salle de concert, tantôt pour un théâtre pouvant accueillir le répertoire francophone.

On aborde, bien évidemment, la perception qu'ont le public et le milieu des arts de ces fameux critiques. Gustave Comte, qui écrivait dans La Patrie en 1920, a fait preuve d'autodérision et s'est amusé à rédiger une définition de son métier. « Critique, n. m. petit champignon parasite et très vénéneux que l'on rencontre sur les pentes arides des "auteurs" dramatiques. Le critique - criticus morbus -, qui n'est pas comestible, s'avale quelquefois, mais se digère rarement. Se dit aussi d'une petite excroissance de chair dont sont atteints certains auteurs des temps modernes et qu'ils ont toujours dans le nez. Le "criticus morbus" commet parfois des actes toujours plus ou moins répréhensibles en mettant à mal certains sujets qui lui tombent sous la main. »

Qui sont ces critiques qui font la pluie et le beau temps dans les journaux ? D'abord ce sont, en très grande majorité, des hommes : Léo-Pol Morin et Henri Letondal (Le Canada), P.G. Ouimet et Frédéric Pelletier (Le Devoir), Gustave Comte et Lucien Parizeau (La Patrie). Fait intéressant à noter, à La Presse, les critiques ne sont pas autorisés à signer leurs articles de leur véritable nom. Ils doivent se choisir un pseudonyme. Roger Champoux (cinéma), Jean Dufresne (musique) et Jacques Laroche (théâtre) sont mieux connus sous les noms d'emprunt de Léon Franque, Marcel Valois et Jean Béraud. Ce moyen a été mis de l'avant par les patrons afin de protéger leurs « vedettes ».

Ces critiques ou chroniqueurs n'ont de connaissance des arts que ce que leurs études classiques leur ont procuré. Ces « amateurs éclairés » ont surtout une formation en droit, en notariat ou en médecine.

Les critiques couvrent tout autant les spectacles professionnels qu'amateurs en prenant soin d'avoir une « bienveillance » pour la deuxième catégorie. Également, on est plus indulgent avec les oeuvres canadiennes, ce que certains appellent faire de la « critique bénisseuse ».

On peut également lire sur l'éternel débat sur le rôle du critique, débat qui a toujours lieu. Le critique doit-il faire des critiques constructives ? Quant aux chroniques polémiques, elles touchent surtout les sujets de censure et de moralité. L'aspect élitiste des critiques est également abordé. Les chroniqueurs et les critiques boudent les formes d'art « grand public » de l'époque, le burlesque et le mélodrame, pour mieux se concentrer sur des sujets plus pointus, plus sérieux.

La seconde partie du livre est consacrée à quelques faits saillants qui ont marqué le monde culturel montréalais à cette époque. On raconte, entre autres, la visite de la danseuse expressionniste allemande Mary Wigman, le 22 février 1931 au His Majesty's. La venue de cette artiste avant-gardiste a été précédée de nombreux articles qui avaient pour but de « préparer » le public à ce choc. The Gazette n'hésite pas à mettre en garde ses lecteurs. Il le fait en lettres majuscules : « NO CLASSICAL MUSIC », titre le journal afin de bien préciser que l'interprète danse avec un « strange accompaniment ». Le spectacle divisera les critiques présents, mais tous feront preuve d'ouverture d'esprit.

Bref, pour les journalistes qui travaillent dans le domaine des arts ou les étudiants qui s'y prédestinent, force est de constater que mis à part l'arrivée des nouvelles technologies, peu de choses ont changé dans le métier de critique ou de chroniqueur. 

On retrouve aujourd'hui sensiblement les mêmes débats, les mêmes préoccupations, les mêmes perceptions... Rien n'a changé sinon la vitesse d'exécution et la concurrence ambiante.

À ceux qui répètent que les critiques d'autrefois avaient plus de liberté, je conseille de lire ce livre. À ceux qui croient que les journalistes de cette époque avaient de grandes plumes (plumes pompeuses, oui), je conseille de lire ce livre. Et à ceux qui pensent que le métier de critique ou de chroniqueur n'a pas sa raison d'être, je conseille aussi de lire ce livre.

Chroniques des arts de la scène à Montréal durant l'entre-deux-guerres - Danse, théâtre, musique

Sous la direction de Marie-Thérèse Lefebvre 

Éditions du Septentrion, 328 pages

Image fournie par les éditions du Septentrion

Chroniques des arts de la scène à Montréal durant l’entre-deux-guerres – Danse, théâtre, musique