Il existe à Montréal un endroit où, tous les jours, on accomplit de grandes choses. Un endroit qui n'attire pas l'attention du grand public. Quand je dis grand public, j'entends par là la très grande majorité des gens qui arrivent à lire des livres, des journaux ou toutes formes de textes sur une tablette ou sur un ordinateur. Ce lieu que j'ai visité cette semaine est la maison de production Vues et Voix. On y produit des livres adaptés à l'intention de ceux qui souffrent de déficience visuelle.

Depuis 40 ans (on vient tout juste de célébrer cet anniversaire), Vues et Voix offre des «voix» aux malvoyants afin que ceux-ci ne soient pas privés de ce grand plaisir qu'est la lecture. En me rendant dans leurs bureaux, au centre-ville de Montréal, je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait. J'y ai découvert une ruche bourdonnante où environ 25 employés font en sorte que quelque 750 titres soient produits chaque année en version audio pour la clientèle des malvoyants.

Comment tout cela fonctionne? Marjorie Théodore, présidente et directrice générale de Vues et Voix, m'a expliqué qu'elle ne reçoit aucune subvention gouvernementale. C'est la Grande Bibliothèque qui est responsable de la réalisation de ces livres. Tous les deux ans, Vues et Voix doit donc aller en appel d'offres auprès de la BAnQ pour obtenir le contrat de production. Environ 10 000 abonnés lisent un total de 375 000 livres adaptés chaque année par l'intermédiaire de la BAnQ. Celle-ci peut également prêter ces livres audio aux autres bibliothèques publiques en région. Ce système mériterait à mon avis d'être regardé de près par le ministère de la Santé et des Services sociaux, car le processus demeure pour le moment laborieux.

Produire environ 800 livres (le choix des titres et le quota des genres sont faits par la BAnQ), ce n'est pas de la tarte. Et cela ne serait pas possible sans la participation de 350 bénévoles. 

Vous avez bien lu. Trois cent cinquante personnes donnent de leur temps ou prêtent leur voix pour la production de ces livres adaptés.

Il est plutôt impressionnant de voir ces nombreuses équipes (une personne dans une cabine et une autre qui fait le monitoring) en train de «fabriquer» ces livres auxquels les malvoyants peuvent avoir accès grâce à un appareil que le ministère de la Santé met à leur disposition. Ce système permet d'empêcher la duplication et de protéger le droit d'auteur.

Plusieurs dizaines de bénévoles offrent leur talent de liseur à Vues et Voix. Après une audition, un comité fait une sélection de voix selon des critères bien précis (chaleur, intonation, etc.). «Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les comédiens ne sont pas nécessairement les meilleurs candidats, m'a dit Marjorie Théodore. Ils ont tendance à trop jouer le texte. Il faut bien rendre le texte, mais il faut adopter une certaine neutralité, de manière à laisser la personne qui entend le résultat avoir ses propres émotions.»

Reste que parmi les nombreux bénévoles qui prêtent leur voix, on retrouve certains comédiens qui ont bien saisi cette subtilité. Béatrice Picard et Daniel Pilon en font partie. Certains auteurs viennent également lire leurs propres livres.

Vues et Voix, c'est aussi Canal M, une radio dont le contenu et la programmation sont conçus spécialement pour les personnes souffrant d'un handicap, peu importe sa nature. Jean-Richard Lefebvre, chef de production, travaille avec une équipe d'animateurs et de chroniqueurs pour créer une programmation offerte la plupart du temps en direct.

Qu'est-ce qu'une radio pour personnes handicapées peut avoir de si particulier? «Tout est différent, m'a expliqué Marjorie Théodore. On n'aborde que des sujets accessibles aux personnes handicapées. Si on parle d'un nouveau restaurant, on s'assure que celui-ci soit adapté aux personnes handicapées. Accessibilité et inclusion sont des critères que l'on doit retrouver dans tous nos sujets.»

Lors de mon passage, Clotilde Seille et ses collaborateurs présentaient Les voix de service, une émission matinale et (quasi) quotidienne qui offre une revue de presse. Celle-ci est nettement plus complète que dans une radio traditionnelle où l'on se contente de «pointer» les grands titres.

«Une personne malvoyante ne peut pas compléter sa lecture en lisant un journal, m'a expliqué Jean-Richard Lefebvre. On lui offre donc l'essentiel du contenu. Il faut mettre certaines choses en contexte.»

Canal M est offert sur le web et sur plusieurs chaînes de télé numérique par le truchement de divers services de câblodistribution (Bell, Vidéotron, Rogers, Cogeco, etc.).

Il est émouvant de voir tous ces gens qui travaillent d'arrache-pied afin que les personnes handicapées puissent jouir des mêmes plaisirs que les autres. Il est également touchant de voir tous les efforts qui sont déployés pour que la littérature puisse se frayer un chemin pour atteindre ce public. Chapeau à l'équipe de Vues et Voix! Vous offrez vos voix, on vous donne notre coeur en retour!