Ça faisait longtemps que je voulais voir à quoi ressemblait un spectacle de « vieux chanteurs populaires ». Était-ce aussi « pathétique » qu'on le disait ? Le spectacle La tournée des idoles, qui rassemble Patsy Gallant, Châtelaine, Gilles Girard, Claude Valade, Jean Nichol et l'impériale Michèle Richard, m'a donné une belle occasion de vérifier cela.

Dimanche dernier, j'ai mis le cap sur Joliette et je me suis rendu à la salle Rolland-Brunelle pour assister à la représentation d'après-midi de ce spectacle qui amorce la seconde partie de sa tournée québécoise. Le théâtre était plein à craquer de septuagénaires venus en amoureux ou entre amis. Ça rigolait, ça s'embrassait, ça se tirait la pipe.

Déjà, dans le hall, le party était pris et je n'y ai vu que des spectateurs heureux de voir sur scène ceux qui ont joué le rôle que joue actuellement Marie Mai pour leurs petits-enfants.

Mario Lirette agit à titre de MC de ce spectacle à la mise en scène sobre et efficace. Pour l'occasion, l'animateur numéro 1 des week-ends de Rythme FM devient une sorte d'amalgame de Claude Blanchard et de Gilles Latulippe, c'est-à-dire que chaque présentation est enrichie d'un superbe « c'tait une fois un gars, comprends-tu ? ». La salle en redemande.

Au début du spectacle, Jean Nichol, reconnu dans les années 60 et 70 comme un chanteur à voix, est arrivé sur scène avec quelques-uns de ses succès. Ça ne faisait pas 30 secondes qu'il chantait que toute la salle avait compris que quelque chose clochait. Même en déployant beaucoup d'énergie, Jean Nichol ne pouvait offrir qu'un filet de voix.

Après sa première chanson, au bord des larmes, il a expliqué qu'une bactérie s'était attaquée à ses cordes vocales quelques jours plus tôt, qu'il avait assisté aux funérailles de son frère la veille à Sherbrooke, qu'il avait donné un spectacle en soirée, qu'il s'était couché à trois heures du matin et que, dimanche matin, il avait pris la route pour Joliette afin de venir rencontrer son public. « J'aurais peut-être dû annuler, a-t-il dit. Mais je ne pouvais pas faire ça. »

Les spectateurs l'ont ovationné. Jean Nichol venait de nous dire qu'une idole ne lâche jamais son public.

J'utilise le terme « idole », mais, en fait, ce spectacle est mal nommé. Ces chanteurs ne sont plus des idoles depuis longtemps. Les idoles ne durent pas. On les aime trois ou quatre ans et on passe à autre chose. Cela marque la première mort des idoles. Elle précède l'autre, la vraie, celle qu'on apprend un mardi soir dans une bande défilante sur RDI ou LCN.

Le phénomène des idoles, c'est bon durant l'adolescence. Les idoles servent de modèle à un moment de notre vie où on n'a aucun repère, juste des complexes et des boutons.

Plus tard, ça devient quelque chose de plus fort, c'est de l'admiration, c'est un repère, c'est un symbole, mais ce n'est plus de l'idolâtrie.

Les gens qui étaient dans la salle dimanche dernier étaient venus comme des archéologues à la recherche de fragments de leur vie. À travers ces chanteurs dont la carrière est d'une étonnante durabilité, ils cherchaient des réminiscences de leur adolescence.

Les spectateurs qui s'étaient procuré des billets venaient vérifier si ces chanteurs étaient encore en vie. Ils venaient vérifier si eux-mêmes étaient encore en vie.

Et puis, il ne faudrait pas se le cacher : certains étaient venus voir comment ces chanteurs avaient vieilli. Bien sûr, le bourrelet est apparent, le cheveu est plus rare, la voix manque de vigueur. Mais bon, ce n'est pas très grave, on compense avec des paillettes et des effets de réverbération.

Après un certain moment, on oublie le temps et ses ravages. On oublie que celles qui chantent Sugar Daddy ou Les boîtes à gogo cet après-midi à Joliette vont bientôt avoir 70 ans. Tout à coup, il y a ce moment où une certaine Madeleine de Saint-Charles-Borromée entre en communion avec la chanson Quand le film est triste. Et ce moment-là, il n'appartient qu'à Madeleine et Michèle Richard. Il n'y a qu'elles qui savent ce qui s'est passé sur cette chanson en cet été de 1962.

C'est pour cela qu'on demeure fidèle toute une vie à des chanteurs et à certaines de leurs chansons. Et ce moment de grâce, pas une photo, pas un parfum, pas un film Super 8 ne peut nous l'offrir comme le fait une chanson.

C'est Barbara qui chantait qu'il ne faut « jamais revenir au temps caché des souvenirs ». Barbara avait des raisons bien à elle de fuir son enfance. Mais quand ces souvenirs sont heureux et qu'ils ont la forme d'un juke-box, on serait fou de s'en priver.