Évidemment que j'ai lu l'article que Le Devoir a choisi de mettre en une samedi et qui portait sur l'avenir sombre du journalisme. Je l'ai même lu deux fois plutôt qu'une tellement je croyais avoir la berlue.

L'ex-journaliste Marie-Christine Blais, qui a récemment quitté notre journal pour suivre des cours en réparation de petits moteurs, a été interviewée par Stéphane Baillargeon dans le cadre d'un dossier sur la soi-disant descente aux enfers que connaît actuellement le monde des médias. Trop content d'avoir une telle invitée devant lui, le collègue Baillargeon a troqué l'encre de son stylo contre son manque de rigueur habituel pour dépeindre le cataclysme qui, selon cet article, frappe aussi La Presse.

Je trouve formidable que Marie-Christine Blais ait le courage de prendre une voie de sortie aussi audacieuse. Cela est tout à son honneur. Ce virage est d'ailleurs à son image: surprenant et original.

Je trouve toutefois dommage qu'on ait entremêlé sa «fatigue» à son regard désabusé de la profession de journaliste pour dresser un portrait apocalyptique de la situation.

Je lisais la description qu'elle faisait de cette transformation et je me demandais si, pendant toutes ces années où nous nous sommes côtoyés (j'ai été son patron et son collègue), elle avait travaillé pour le même journal que moi. Elle parle de collègues plus âgés «nimbés d'un nuage gris de tristesse infinie, qui attendaient la retraite et la mort».

Depuis 12 ans, je vois surtout des gens bourrés de talent, désireux de mener de grandes enquêtes, de trouver les scoops que les autres n'auront pas, d'écrire des chroniques fabuleuses qui vont éveiller les esprits, des graphistes, des caméramans et des photographes dotés d'une créativité débordante, quasi incontrôlable. Mes collègues ne chantent pas à longueur de journée La mélodie du bonheur d'une mezzanine à une autre comme la famille von Trapp, mais ils sont loin d'être malheureux de leur situation.

Oui, le journalisme change. Pis après? La plupart des grandes professions changent et évoluent. Cela fait partie du cycle normal des choses. Le monde de l'informatique change. Le monde du tourisme change. L'industrie du disque change. Le marché du cinéma change. La pratique des dentistes change. Ces secteurs, et bien d'autres, sont en pleine ébullition et on n'en parle pas. II faut dire qu'ils n'ont pas la chance de bénéficier, comme nous, d'une tribune pour épancher leur désespoir...

Cela fait des années que la transformation du journalisme s'est amorcée. L'arrivée du web et des chaînes d'information en continu est venue botter le derrière à une profession qui, depuis le départ des typographes et la fin des éditions d'après-midi, n'avait pas connu de grandes transformations. Bref, ça fait 20 ans que le journalisme vit une grande effervescence et là, tout à coup, on s'étonne de cela. Allôôôôô!

Pour La Presse, cette conversion est symbolisée par la disparition du papier en semaine et l'adoption de la tablette. Marie-Christine Blais affirme que la tablette force les journalistes à faire plus vite. C'est faux. C'est le web qui a créé le principe de la nouvelle de dernière minute, pas la tablette. Marie-Christine Blais dit que les journalistes qui écrivent pour la tablette le font sous forme de capsules. C'est faux. Les textes sont souvent plus longs dans la tablette. 

La différence, c'est que les journalistes peuvent maintenant jongler avec une multitude de possibilités pour concevoir leurs reportages.

Il était aussi question d'une diminution du nombre d'étudiants dans les écoles de journalisme. Faudrait aussi préciser que ce secteur a longtemps été contingenté. Il y a quelques années, la cohorte des trentenaires a remplacé celle des baby-boomers. Il y a eu des embauches massives. On ne peut pas maintenir éternellement une cadence de recrutement dans un secteur qui vit la mouvance de ses plaques tectoniques.

Bien sûr, tout n'est pas rose dans le journalisme, particulièrement pour les journaux. Le modèle qui existe depuis des décennies est à redéfinir. C'est un stress et un défi énorme pour ceux qui en font partie depuis de nombreuses années, surtout ceux qui craignent le changement et l'inconnu. Mais les autres, les plus kamikazes, carburent à décrypter l'impact des réseaux sociaux, des blogueurs et du phénomène multiapproches qui touche l'ensemble des médias (les radios publient des textes sur le web, les journaux font de la vidéo, les télés exploitent les réseaux sociaux, etc.). Les cloisons sont tombées entre les médias. C'est ça, la nouveauté. C'est aussi ça qui fait peur.

J'avoue que j'ai du mal à comprendre comment des gens qui ont choisi le journalisme, une profession qui repose entièrement sur l'inattendu et le renouveau, puissent un jour lui reprocher de se remettre en question. Si un jour, je sens que j'ai du mal avec ça, j'irai fertiliser et couper votre gazon, c'est promis. Et j'irai voir Marie-Christine pour faire réparer le moteur de ma tondeuse quand il sera en panne.