Vous êtes-vous déjà demandé de quoi vivent les comédiens anglophones de Montréal? Déjà que la majorité des acteurs francophones ne roulent pas sur l'or, quelles sont les conditions de ceux qui font carrière dans la langue de Shakespeare?

Cette question a fait surface en octobre dernier lorsque je suis allé voir l'excellente production de la comédie musicale My Fair Lady au Centre Segal. Ils étaient une vingtaine de comédiens-chanteurs sur scène. À la lumière des biographies publiées dans le programme, il était clair que ces artistes étaient anglophones et que la plupart étaient de la métropole.

Pendant l'un des célèbres airs, je me demandais comment ces comédiens faisaient pour joindre les deux bouts. Donnent-ils des cours de yoga tantrique dans leur salon le samedi matin? Quémandent-ils à la station Berri-UQAM? Reçoivent-ils une aide financière d'un mystérieux donateur d'Arabie saoudite?

Cette préoccupation, je l'ai eue de nouveau lorsque j'ai vu récemment un Macbeth dépouillé et admirablement bien rendu au Théâtre Sainte-Catherine par la compagnie Raise the Stakes Theatre. Encore là, ils étaient une bonne vingtaine de comédiens fort talentueux à se donner corps et âme devant le public jeune et hipster de cette dynamique compagnie.

J'ai abordé cette question avec Alisa Palmer, la directrice de la section anglophone de l'École nationale de théâtre. Elle a été surprise par ma question, mais en même temps, elle attendait depuis longtemps d'y répondre. Selon elle, les comédiens anglophones ne vivent pas plus mal que les francophones. Ils arrivent à trouver du boulot et à passer toutes les auditions nécessaires sur vidéo pour se dénicher un rôle à la télé ou au cinéma.

Alisa Palmer croit que les étudiants anglophones qui sortent de l'École nationale de théâtre auraient tort de se ruer à Toronto après leur formation. 

Selon elle, la Ville Reine est comme New York il y a 30 ans: les conditions sont très difficiles pour les acteurs, car le marché est saturé. Elle croit qu'il faut créer une plus grande répartition géographique et que les comédiens doivent aller partout, à Stratford, à Calgary, à Saskatoon ou à Montréal.

Selon l'Institut de la statistique du Québec, il y aurait environ 2300 acteurs ou comédiens au Québec qui vivent (ou tentent de vivre) de leur profession. De ce nombre, quelques centaines font carrière en anglais.

De nature optimiste, Alisa Palmer pense qu'il existe une grande ouverture d'esprit à Montréal pour les accents. Selon elle, les comédiens peuvent de plus en plus se glisser dans la peau des personnages au théâtre et à la télévision, peu importe leur origine ou leur accent.

Je ne vois pas les choses de la même façon. Je trouve que la représentation demeure encore très franco-blanche et ne reflète aucunement la réalité de la rue. Nous sommes loin du Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine où l'on peut entendre une douzaine d'accents différents dans une même production.

Actuellement à Montréal, trois écoles offrent une formation à ceux qui veulent étudier le théâtre en anglais: le Collège Dawson, l'Université Concordia et l'École nationale de théâtre. Bon an mal an, c'est donc une quarantaine de finissants anglophones qui sortent de ces écoles en quête d'un avenir.

Je dis «anglophones», mais plusieurs de ces comédiens sont bilingues. Pour eux, le choix de la langue n'est pas une entrave (comme le montre ci-bas l'extrait de Macbeth avec Christian Daoust).

Nous avons un autre bon exemple de cela avec Bus Stops, actuellement à l'affiche au Centaur. La majorité des comédiens sur scène avaient joué la pièce en français (Ligne de bus) en 2014 au Théâtre Aux Écuries.

J'ai aussi abordé cette question avec Anton Golikov, directeur du Raise The Stakes Theatre et acteur (il jouait Macbeth dans la dernière production). Il ne voit pas les choses avec des lunettes roses. Selon lui, il est très rare qu'un acteur anglophone puisse vivre convenablement en pratiquant son métier à Montréal. Tout en dirigeant sa compagnie, Anton donne des cours d'improvisation et met à profit ses talents de comédien au centre de simulation du département de médecine de l'Université McGill. «Il faut créer son propre travail», m'a-t-il dit.

Il faut aussi avoir la foi. Et beaucoup de courage. La compagnie d'Anton Golikov a produit une dizaine de pièces sans aucune subvention gouvernementale. Anton ne s'en cache pas: il trouve qu'il n'y a pas beaucoup de communications ou de liens entre la communauté théâtrale francophone et anglophone à Montréal.

Avec son bagage et son parcours (il a travaillé à Londres et à New York), il aimerait bien qu'un directeur de théâtre francophone pense à lui en tant que metteur en scène. Quant au comédien qu'il est, il envie le star system dont font partie les acteurs québécois et sont exclus les anglos. Il est vrai que vous ne voyez jamais un comédien anglophone sur les tapis rouges des galas québécois.

Alisa Palmer et Anton Golikov s'entendent sur une chose. La jeune génération, que l'on dit souvent gâtée, n'a pas peur de relever ses manches. Elle ne craint pas non plus les barrières. «Ils sortent des écoles et ils sont jeunes, me dit Alisa Palmer. Ils veulent tout faire et ils pensent pouvoir tout faire.»

Laissons-leur le bonheur de croire que tout est possible, car, comme le dirait notre ami William: «Le monde entier est un théâtre.»