Ceux qui doutent encore de la dure épreuve que doivent traverser les plaignantes lors des interrogatoires dans une cause d'agression sexuelle ont eu une démonstration éloquente de cela, mardi,  lors du procès de Jian Ghomeshi.

Au deuxième jour du procès de l'ex-animateur de la CBC qui se déroule à Toronto, on a assisté à un véritable bras de fer entre la première plaignante qui est entendue et l'avocate de la défense, Me Marie Henein. Celle-ci a littéralement bombardé la présumée victime de questions qui ne servaient qu'à une chose : tisser habilement une toile autour de sa crédibilité.

Rappelons que, dans le cas de cette plaignante, les deux incidents reprochés à Jian Ghomeshi se seraient produits en décembre 2002 et en janvier 2003. Le premier se serait déroulé dans la voiture de l'accusé et le second, dans sa demeure. Dans les deux cas, après des échanges de baisers, l'accusé aurait fait preuve de violence en tirant les cheveux de la plaignante. Lors de la deuxième rencontre, il lui aurait donné des coups à la tête.

Lors de son interrogatoire, lundi, mais aussi lors de sa plainte auprès de la police et d'entrevues qu'elle accordées à différents médias, la plaignante a toujours affirmé que, depuis les incidents, elle vivait un grand choc. Elle ne pouvait plus chasser ces images de sa tête et elle ne pouvait plus voir et entendre Jian Ghomeshi lors de ses passages à la télé ou à la radio. Elle a aussi dit qu'elle n'avait plus eu de contacts avec Jian Ghomeshi à la suite des deux incidents reprochés.

Me Henein a repris son interrogatoire mardi matin en faisant répéter plusieurs fois ces affirmations à la plaignante. Puis, coup de théâtre, l'avocate a fait apparaître sur un écran deux courriels que la plaignante a envoyés à Jian Ghomeshi environ un an et un an et demi après les faits.

La plaignante a tout de suite voulu justifier l'existence de ces courriels. «Attendez, vous aurez tout le temps de le faire, lui a dit Me Henein. Nous allons prendre connaissance de ces courriels phrase par phrase.» Ce qu'elle a fait en faisant apparaître chacune des phrases à l'écran et en les décortiquant.

Dans ces deux brefs courriels, la plaignante a un ton qui ne laisse entrevoir aucune colère ou rage à l'égard de celui qu'elle accuse de l'avoir agressée. Dans le premier courriel, elle l'invite à aller entendre, sur un site internet, une chanson qu'elle a enregistrée. Elle lui laisse également son adresse courriel et son numéro de cellulaire.

Dans le deuxième courriel, elle dit qu'elle a regardé une de ses émissions et qu'elle a pensé lui écrire. Elle met en pièce jointe une photo d'elle prise sur une plage où on la voit en bikini, allongée sur le côté.

«Comment expliquez-vous ces courriels, alors que vous avez répété plusieurs fois que vous ne vouliez plus rien savoir de M. Ghomeshi ?», a demandé Me Henein à la plaignante.

La jeune femme avait-elle oublié l'existence de ces courriels ? Savait-elle qu'ils pouvaient réapparaître ? Pensait-elle qu'ils avaient totalement disparu ?

Visiblement ébranlée, la plaignante a expliqué que ces courriels avaient été écrits de cette façon pour mieux «appâter» Jian Ghomeshi. «Je voulais qu'il m'appelle et qu'il me rencontre. Je voulais qu'il me dise pourquoi il m'avait frappée au visage comme il l'a fait. Je voulais le confronter», a-t-elle répondu.

La présentation de ces deux documents a conclu de façon dramatique le contre-interrogatoire. Pendant tout ce temps, Jian Ghomeshi est demeuré calme et détendu, affichant une expression des plus neutres, comme il le fait depuis lundi.

La plaignante a quitté la salle d'audience. Au bord des larmes, elle avait du mal à dissimuler le choc qu'elle venait d'encaisser. 

Plus tard, l'avocat de la femme, Jacob Jesin, s'est adressé aux médias et a parlé au nom de sa cliente. Il a dit qu'elle reconnaissait que cette expérience avait été «extraordinairement difficile». Il a ensuite ajouté que sa cliente souhaitait «encourager les victimes d'agressions sexuelles à porter plainte et à ne pas avoir peur de le faire». Il a conclu en disant que la jeune femme sentait que «le poids qu'elle avait sur les épaules avait disparu depuis qu'elle avait eu la chance de s'exprimer librement».

En fin de matinée, la Couronne a demandé une période de temps pour regarder de plus près les documents présentés. Au retour, à 14h45, le procureur de la Couronne, Michael Callaghan, a expliqué qu'il ne pensait pas que le contre-interrogatoire de cette première plaignante allait prendre si peu de temps. Il a demandé au juge William Horkins de reprendre le procès demain, le temps de préparer le prochain témoin.

Jian Ghomeshi fait face à cinq chefs d'accusation, quatre pour des agressions sexuelles et un pour avoir vaincu la résistance par l'étouffement. Deux chefs d'agression sexuelle concernent la plaignante entendue lundi et hier. Jian Ghomeshi a plaidé non coupable et a toujours affirmé que ces relations étaient consensuelles.

DOCUMENT FOURNI PAR LE TRIBUNAL

Premier courriel que la plaignante a envoyé à Jian Ghomeshi environ un an après les faits.

DOCUMENT FOURNI PAR LE TRIBUNAL

Deuxième courriel que la plaignante a envoyé à Jian Ghomeshi environ un an après les faits.

Le parcours de Jian Ghomeshi

Né à Londres de parents iraniens le 9 juin 1967, Jian Ghomeshi a grandi à Toronto. Après des études en sciences politiques et en histoire (où il s'intéresse particulièrement à l'histoire des femmes), il connaît une certaine renommée au sein du groupe musical Moxy Früvous en tant que chanteur et batteur. En 2000, il fait ses débuts à la télévision et à la radio. De 2002 à 2005, il anime Play à CBC Newsworld. Puis, c'est The National Playlist à CBC Radio One. En 2007, il connaît une immense popularité à la même chaîne avec Q, un magazine culturel où il reçoit les plus grands noms de la scène musicale actuelle. L'émission remporte un énorme succès. La cote d'écoute gravite autour de 850 000 auditeurs. Confrontés aux accusations qui pèsent sur lui, ses patrons le congédient en octobre 2014. Jian Ghomeshi est aussi l'auteur d'un récit autobiographique qui a pour titre 1982. En 2009, il découvre qu'il souffre de troubles d'anxiété. Des oursons en peluche deviennent alors pour lui un baume lors de crises.