Vous savez ce que font les « gens-du-milieu » quand ils se retrouvent autour d'une table où le vin abonde ? Ils se racontent des histoires de monstres. Les gens du milieu artistique adorent raconter des anecdotes sur ceux qui ont la réputation de semer la terreur.

Fabienne Larouche est un de ces geysers à potins. On raconte comment elle a répliqué durement à tel réalisateur, comment elle a viré tel comédien, comment elle a négocié telle émission. Et les « gens-du-milieu » en redemandent.

Le problème, c'est que ces histoires sont rarement fiables. Elles ne proviennent jamais de ceux qui les ont vécues. Parfois, on entend la même histoire, mais racontée dans une version très différente.

On se dit alors que le conteur s'est pris pour Fred Pellerin. C'est là qu'on se demande si tout cela n'est pas exagéré, gonflé, surdimensionné.

J'ai voulu savoir ce qu'en pensait celle qui a la réputation d'être la plus redoutable du milieu artistique québécois : Denise Filiatrault. À entendre certaines personnes, à côté de la metteure en scène, Godzilla est une sorte de Minifée. Rentrée la veille d'un séjour de deux mois en Floride et amortie par un rhume, elle a accepté très gentiment de répondre à mes questions.

Denise Filiatrault n'est pas du tout étonnée que l'on parle de sa réputation de femme redoutable. « Je ne me rendais pas compte que les gens avaient peur de moi à ce point-là. Aujourd'hui, j'arrive à me maîtriser. »

« Je ne suis pas méchante à la base, sauf que je me suis rendu compte que je ne disais pas assez aux acteurs que je les aimais. Mon erreur était de m'exprimer seulement quand je trouvais que les choses n'allaient pas », dit Denise Filiatrault.

Parmi les nombreuses anecdotes colorées qu'on rapporte au sujet de Denise Filiatrault, il y a celle concernant le comédien de petite taille Paul Cagelet. L'une des versions de cette histoire que j'ai entendues est la suivante : Denise Filiatrault aurait téléphoné au comédien pour lui offrir un rôle dans une pièce de Molière. Ce dernier lui aurait répondu qu'il allait y réfléchir. La metteure en scène aurait alors répliqué : « Tu vas y réfléchir ? T'es un nain, câlisse ! »

Je raconte ça à Denise Filiatrault. Elle n'en revient pas. Elle se dit peinée d'entendre une chose pareille. « C'est épouvantable ! C'est ignoble ! Je préférerais mourir que de dire une telle chose à quelqu'un. » Elle me suggère d'appeler le principal intéressé. Ce que je fais.

Paul Cagelet tombe à la renverse quand il m'entend déballer cette histoire. « Je nie catégoriquement cette conversation. Denise ne m'a jamais dit une telle chose. C'est archifaux. Ça me fait de la peine pour moi et pour elle. »

Le comédien, qui a joué dans six productions sous la direction de Denise Filiatrault, me jure qu'il serait prêt à travailler avec elle demain matin.

Denise Filiatrault reconnaît que sa manière de dire les choses n'est pas toujours bien reçue. « Je dis ce que je pense, mais, parfois, les gens ne le prennent pas bien. Quand je donne une indication à un comédien, je ne comprends pas pourquoi il bloque. Si je demande quelque chose, c'est que je le sais. Je l'ai fait. Je sais que ça ne marche pas d'une telle façon. Fais-le de telle façon, et ça va marcher. »

Marleen Beaulieu, présidente et productrice chez Attractions Images, a la réputation d'être une patronne avec beaucoup de poigne. Elle le sait. Quant aux ragots, elle s'en fout. Elle trouve que l'on confond souvent sale caractère et franchise. 

« Je sais que ma façon directe de parler fait peur. En même temps, ça amène un vrai dialogue. Ce qui est le plus redoutable, c'est l'hypocrisie », dit Marleen Beaulieu.

Elle pense que les Québécois n'ont pas la couenne très dure. « C'est un petit milieu. On me dit souvent que je serais heureuse à Los Angeles », dit-elle en riant.

Marleen Beaulieu a su très jeune qu'elle avait de la drive. « J'avais une assurance, mais je ne savais pas qu'elle était aussi grande. J'ai toujours exigé la compétence autour de moi. Cela dit, j'ai dû l'apprivoiser, cette drive. Ça ne sert à rien de défoncer des portes ouvertes. »

Durant la semaine, j'ai demandé à plusieurs collègues et « gens-du-milieu » qui étaient, selon eux, les personnes redoutables du showbiz. Étrangement, tous les noms cités étaient de femmes.

« Une femme qui a du cran est une dictatrice », dit Marleen Beaulieu.

« Si t'es un homme et que tu cries, t'as du guts. Si t'es une femme, t'es une méchante, une perverse », ajoute Denise Filiatrault.

Ces histoires de monstres sont-elles nourries par la jalousie et la haine ? Peut-être. Elles sont bonnes à raconter pour épater la galerie, en tout cas. Tu fais mouche devant un groupe quand tu as un potin salé à raconter sur une vedette bien en vue.

Je ne dis pas que les « redoutables » du milieu artistique sont tous des colombes. Mais je pense qu'entre les gros méchants qu'on décrit dans les soupers et les professionnels qui expriment clairement leurs exigences, il y a tout un monde. 

Mais bon, les grands comme les petits aiment les histoires de monstres. Il faut juste se rappeler qu'elles sont parfois faites de mythes et de légendes.