« Certainement, la Caisse est mûre pour être dirigée par une femme… On cherche la meilleure personne pour gérer la Caisse. Il serait très possible que ce soit une femme. »

Ai-je bien lu ? Ai-je bien entendu ? Est-ce bien le ministre des Finances, Eric Girard, qui parle ainsi de la succession de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et placement ?

Enfin.

Le changement, on le sait, n’arrive pas tout seul.

Il lui faut plusieurs ingrédients, notamment de la volonté de faire bouger les choses, venant de haut. Des objectifs clairs aussi.

Si les boss décident qu’ils veulent des femmes dans les équipes, si la démarche pour en arriver là est organisée, structurée, la voie est tracée.

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Oui, mais y a-t-il des femmes prêtes à remplacer Michael Sabia ? Qui veulent le boulot ? Je vous entends. Mais pour tout dire, j’en ai un peu marre d’entendre ces questions.

La réponse est oui, c’est certain.

Il y en a. Mais encore faut-il vouloir vraiment chercher et vouloir vraiment trouver.

Le poste de PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec n’est pas un poste où on débarque avec le CV taillé sur mesure, parce qu’il n’existe aucun emploi le moindrement semblable. Gestion d’équipe, gestion de risque, gestion d’avenir, gestion d’attentes, gestion de patrimoine, gestion d’opinion publique. Il faut savoir tout faire.

Et personne n’est arrivé là en sachant tout.

Michael Sabia, rappelons-le, n’était pas dans les placements et les finances quand il est arrivé en poste, il était PDG de Bell. Et il y a une femme formidable qui vient de quitter, elle aussi, une grande entreprise de télécommunications et qui, peut-être, est disponible pour le poste. Elle s’appelle Manon Brouillette et jusqu’à la fin de 2018, elle dirigeait Vidéotron.

Jean-Claude Scraire, un prédécesseur de M. Sabia, qui a dirigé l’entreprise de 1995 à 2002, un avocat, provenait quant à lui de la filière juridique de la Caisse, où il a gravi les échelons. Tiens, n’est-ce pas aussi le profil de Kim Thomassin, première vice-présidente aux affaires juridiques et secrétariat, qui avant cela dirigeait toutes les équipes québécoises du grand cabinet d’avocats McCarthy Tétrault ? Gestion d’équipe à son CV, développement des affaires…

(Avouez que j’aurais pu être chasseuse de tête.)

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Moi, le premier nom qui m’est venu en tête quand j’ai commencé à penser à tout ça est celui de Monique Leroux, qui dirigeait jadis le Mouvement Desjardins et qui est maintenant vice-présidente chez Fiera Capital. C’est une des grandes figures féminines dans le domaine bancaire et financier, et le Mouvement Desjardins a ce côté collectif, québécois, qui rejoint le mandat de la Caisse de dépôt. Une autre des grandes gestionnaires du monde bancaire québécois s’appelle Nadine Renaud-Tinker. Elle préside la RBC au Québec. Je vous entends dire qu’à 43 ans, elle est trop jeune, que la marche est trop haute… Il est vrai que les PDG choisis sont généralement dans la mi-cinquantaine, histoire de pouvoir remplir deux mandats de quatre ans. (Notez que ceci joue contre Mme Leroux, qui est déjà dans la soixantaine.)

Donc, je continue. Évidemment, impossible de passer à côté de Sophie Brochu, qui quitte Énergir – l’ancien Gaz Métro – où elle a été « mentorée » par le président actuel du conseil d’administration de la Caisse, Robert Tessier.

Est-ce que Lynne Roiter, actuellement présidente de Loto-Québec, pourrait être intéressée ? 

Qui d’autre ?

J’ai posé la question à quelques personnes qui m’ont dirigée vers Nathalie Palladitcheff, qui vient tout juste de prendre la présidence d’Ivanhoé Cambridge, société immobilière chapeautée par la Caisse de dépôt et qui a un solide CV très diversifié.

Le ministre des Finances ayant aussi dit qu’on allait peut-être être surpris, j’ai demandé ici et là si quelqu’un en finances à Paris, Londres ou New York pourrait être recruté. 

Après tout, Roland Lescure, numéro deux de la Caisse jusqu’à son saut en politique avec Emmanuel Macron en 2017, a été recruté en France. Pour la présidence, ce serait étonnant qu’on aille chercher si loin, puisque l’emploi demande quand même une excellente connaissance de la société québécoise et a un caractère symbolique. J’ai néanmoins entendu un nom, celui de Virginie Morgon, une Française autrefois haut placée chez Lazard, qui dirige Eurazeo, une grande société européenne d’investissement, une des rares femmes à ce haut niveau dans ce secteur.

Si Michael Sabia a été recruté parmi les chefs de direction de grandes entreprises, alors regardons aussi les autres femmes qui dirigent actuellement des sociétés majeures. Il y a Cynthia Garneau chez Via Rail, Maria Della Posta chez Pratt & Whitney…

Je vous entends encore dire que ces profils ne sont pas parfaits.

Ils ne le sont jamais.

Ce qui manque à la candidate, on le comble en bâtissant des équipes.

C’est à la fois très compliqué et aussi simple que ça.

Est-ce que tous les présidents de la Caisse ont été parfaits dans le passé ? Non.

Si on veut du changement, il faut avoir le courage de faire des choix différents, différemment.