Il y a bien des choses que je ne m’explique pas dans la vie, mais la résistance des grandes entreprises à faire plus de place aux femmes et à la diversité en général, dans leurs équipes de direction et au sein de leurs conseils d’administration, est bien en haut de la liste.

Que, dans un monde en pleine transformation, on veuille servir un public diversifié, multiple, poly-tout, en ayant une équipe homogène de décideurs qui ont le même profil sociodémographique – et donc la même vision et les mêmes intérêts – me dépasse totalement.

Vue de l’extérieur, l’anomalie est déconcertante.

Surtout quand on sait que la diversité est synonyme de prospérité.

Les études le montrent et le remontrent. Des études de Harvard, du Boston Consulting Group, de McKinsey le disent.

Les entreprises dont La Presse a scruté les équipes de direction devraient être au courant de ça. Oui, plusieurs ont fait des progrès, mais trop continuent de traîner de la patte pour l’embauche de femmes.

Chaque fois, on revient aux mêmes thèmes : la diversité amène plus d’idées, plus d’innovation, plus de connexion avec la main-d’œuvre et la clientèle, plus de revenus, plus de profitabilité, etc.

Il faut faire mieux !

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Mais comme c’est le cas partout dans la vie aussi, c’est souvent en prenant un autre point de vue qu’on finit par comprendre les phénomènes. Et ici, force est de constater une autre vérité de la nature humaine : les gens qui sont bien dans le statu quo n’ont pas intérêt à le faire changer.

Ils peuvent dire qu’ils veulent le changer. Ils peuvent regarder ce qui est faisable pour le faire changer. Ils peuvent étudier la situation sous toutes ses coutures en pensant pouvoir agir pour le changer.

Mais si diversifier remet en question la place et le pouvoir de ceux qui sont à la tête des entreprises, de leurs amis, de leurs réseaux, de leurs acolytes – tous les morceaux du puzzle qui se garde ainsi en place –, ils n’ont pas intérêt à le faire.

C’est pour cela qu’on voit plein de gens de bonne volonté – qui pensent qu’ils veulent du changement, qui disent qu’ils veulent du changement, qui comprennent très bien que ce serait utile et profitable de faire du changement – ne jamais faire tout ce qui est réellement nécessaire pour déclencher suffisamment le changement en question.

Souvent, ceux qui sont à la tête des entreprises ne voient même pas que leurs décisions n’apportent pas vraiment le changement qu’ils pensent vouloir. Peut-être même qu’elles le bloquent. C’est ce qu’on appelle les « biais inconscients ».

Mais l’argent à l’horizon, les profits, devraient convaincre les gens de changer, non ?

Oui, mais uniquement si on choisit la diversité comme stratégie d’affaires. Or, il restera toujours des gens pour croire que ce n’est pas la seule stratégie pour améliorer le rendement d’une entreprise, même s’il est impensable, a dit un jour Einstein, d’avoir des résultats différents si on refait la même chose.

Et c’est ainsi qu’on voit des entreprises aussi différentes que Victoria’s Secret – critiquée vertement sur toutes les tribunes pour la non-représentativité de son marketing – ou Facebook – dont les problèmes de diversité à l’embauche ont fait la manchette et qui n’a plus la faveur des jeunes attirés plutôt par Snapchat ou Instagram – perdre leurs parts de marché.

Mais heureusement, ces jeunes, eux, comprennent et embrassent la diversité. Ça aussi, les études le montrent. Les jeunes ont les bras ouverts. Pour eux, ça va de soi.

Sur Instagram justement, les deux personnes qui ont le plus d’abonnés à leur compte sont la chanteuse texane d’origine italo-mexicaine Selena Gomez et le joueur de soccer portugais Cristiano Ronaldo. Ils sont suivis ensuite par la chanteuse Ariane Grande et l’acteur Dwayne Johnson. Arrivent après Kim Kardashian, Kylie Jenner, Beyoncé, Taylor Swift, le joueur de soccer brésilien Neymar.

Et la liste continue et pratiquement personne, dans la liste des 20 comptes les plus populaires, ne ressemble à tous ces hommes blancs, de 40 à 70 ans, qui dirigent tant d’entreprises dont les produits et services sont destinés à la même clientèle qu’Instagram.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE SPANX

Sara Blakely, fondatrice de Spanx

Si j’étais investisseur, je suivrais Rihanna, avec ses entreprises de mode, de produits de beauté, pour toutes les tailles et toutes les couleurs de peau, et je chercherais la prochaine Sara Blakely, une des premières milliardaires américaines parties de rien, celle qui a bâti l’empire Spanx.

À ses débuts, il y a 10 ans, Blakely, qui a lancé des sous-vêtements sculptant les corps, s’est heurtée à une industrie dont les dirigeants ne portaient pas leurs propres produits, ce qui bloquait grandement l’innovation. Elle a eu de la difficulté à faire comprendre son concept. Mais elle a aussi profité de cette absence de connaissance. Personne d’autre n’avait eu la même idée.

Combien d’autres secteurs, d’autres entreprises, sont ainsi peu au courant des besoins de leur clientèle et laissent de l’argent sur la table ?

Des milliers.

À nous tous et toutes de jouer.