Cher consommateur-mangeur québécois, je sais que vous en avez marre qu’on vous dise sans arrêt quoi manger et son contraire.

« Oui au poisson. Mais pas le sauvage mal pêché ! Et pas l’élevage industriel non plus ! »

« Le tofu ? Bravo. Mais les OGM ! »

Et je sais aussi que vous adorez vos fraises. Nos fraises. Nos belles fraises rouges remplies de toute la magie parfumée de l’été.

Nos fraises locales ! C’est super de manger local, on encourage nos agriculteurs, on ne pollue pas avec le transport. Des fruits, en plus. N’est-ce pas ça qu’on doit choisir à la place des desserts sucrés ?

Sauf que voilà.

Avez-vous envie de manger du cyprodinil ? Du fludioxonil ? Ou encore, peut-être que celui-là, vous le connaissez : du malathion ?

Vous avez deviné. Les fraises québécoises sont contaminées par toutes sortes de résidus de pesticides. 

Et ce n’est pas moi qui le confirme, c’est le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Rassurez-vous, on ne dépasse pratiquement jamais les normes permises.

Mais il y en a sur nos fruits. Et avez-vous envie d’avoir de l’iprodione ou du carbendazime dans vos confitures, même un tout petit peu ?

Malheureusement, on n’est pas beaucoup mieux que les Californiens, ceux dont on regarde pourtant les fraises gigantesques en plein mois de janvier, dans nos épiceries, en se demandant sur quelle planète elles poussent et quelle marque de crème pour la peau elles utilisent pour traverser l’Amérique en si bonne forme.

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Vous rappelez-vous au printemps dernier le rapport de l’Environmental Working Group, lobby américain écolo super efficace, qui disait que les fraises issues de l’agriculture traditionnelle américaine étaient au sommet de la liste des produits présentant le plus de résidus de pesticides ? (Suivies des épinards et du… kale !)

Je ne sais pas pourquoi, mais quand j’ai vu ça, je me suis dit qu’au Québec, on devait sûrement faire mieux. Je me disais : « On le sait bien, les États-Unis, les fermes industrielles, les pesticides, les grosses fraises d’hiver… »

Il me semblait évident qu’ici, c’était plus éco.

Sauf qu’en savourant de délicieuses fraises de l’île d’Orléans récemment, je me suis reposé la question, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai pris contact avec le MAPAQ.

Et là, on m’a donné une réponse pas super réjouissante.

Le Ministère, qui a un plan de surveillance annuel des résidus de pesticides dans les aliments, particulièrement pour les fruits et légumes frais vendus au Québec, a fait analyser 211 échantillons de fraises québécoises entre 2007 et 2016, provenant de l’autocueillette, dans les kiosques à la ferme, dans les marchés publics, à l’épicerie, dans les centres de distribution. (Notons que les tests ont été faits sur les fraises telles qu’elles sont vendues et qu’elles n’avaient donc pas été rincées.) Et il a retracé 111 fois du cyprodinil et 73 fois du fludioxonil – deux fongicides toxiques pour toutes sortes de poissons, invertébrés et algues dans les cours d’eau –, 56 fois du boscalide, un fongicide aux effets inquiétants chez les rats, dont on sait encore peu de chose et mis sur la sellette l’an dernier par un collectif d’éminents scientifiques français.

En tout, 33 types de pesticides ont été identifiés sur les échantillons québécois, tous avec des noms plus compliqués les uns que les autres.  Difficile de s’y retrouver et de juger quand il faut commencer à s’inquiéter, même si, nous rassure le MAPAQ, seulement un de ces échantillons « avait des teneurs [en pesticides] supérieures aux normes canadiennes sans représenter un danger imminent pour la santé », ce qui est mieux que les fraises importées où, sur les 180 échantillons, 23 dépassaient les limites canadiennes.

Surtout que 4 de ces 23 échantillons de fraises importées hors normes contenaient un insecticide possiblement cancérogène, la bifenthrine.

Mais il y en avait aussi dans deux des échantillons québécois, de cette bifenthrine, même si c’étaient des échantillons où les pesticides ne dépassaient pas les normes.

Bref, tout ça n’est pas fort appétissant.

Et dans le texte d’information qu’il nous a fait parvenir, le Ministère a écrit en outre ceci : « Les fraises québécoises analysées, variétés d’été et d’automne confondues, sont statistiquement comparables aux produits d’importation en termes de présence de résidus de pesticides quantifiés. »

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Pourquoi a-t-on besoin de tous ces produits ?

À cause de moisissures causées par notre climat humide, à cause de deux insectes appelés punaise terne et drosophile à ailes tachetées, à cause des changements climatiques qui obligent constamment les producteurs à ajuster leurs méthodes, m’a expliqué au téléphone la directrice générale de l’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec (APFFQ), Jennifer Crawford.

« On les utilise uniquement quand on ne peut pas régler la problématique autrement. »

Les producteurs, assure-t-elle, respectent ce que Santé Canada dit. « C’est sécuritaire. » « On travaille fort. »

Plusieurs nouvelles techniques sans produits chimiques sont constamment à l’essai, avec des insectes prédateurs, notamment. « Mais ce n’est pas toujours super efficace. »

Actuellement, seulement 2 % des producteurs travaillent en utilisant les méthodes biologiques. « Mais ça avance. »

Fait-on mieux que les Californiens, les Mexicains ?

Difficile de répondre avec des données, dit-elle, parce qu’il y a un manque de transparence. « On ne sait pas tout », répond la directrice, qui trouve bien intrigant que des fruits voyagent d’aussi loin pour se rendre ici tout en restant si intacts.

Mais chose certaine, ajoute-t-elle, les producteurs d’ici n’aiment pas mettre des pesticides.

« Ils veulent trouver des façons de réduire. Mais ça ne se fera pas du jour au lendemain. »

Et leur utilisation varie d’une année à l’autre, selon la météo et l’ampleur des problèmes.

Et savez-vous quoi ? Cette année, il a fait beau, il a fait chaud, il n’y a pas eu trop de pluie. « En général, assure Mme Crawford, cette année est une bonne année. »

Moi je vais choisir quand même les bios...