Est arrivée à la rédaction, l’autre jour, une délégation d’hommes d’affaires pour nous parler de leur secteur : les industries innovantes.

Je dis « hommes d’affaires » non pas parce que je n’ai pas eu le « mémo » au sujet de l’expression « gens d’affaires », mais parce qu’il n’y avait, précisément, que des hommes. Huit hommes. Huit hommes pour parler des sociétés de demain.

La seule femme conviée à la réunion avait dû annuler pour cause d’extinction de voix, m’a-t-on expliqué.

Et quand on inclut une seule femme dans une délégation de relations de presse, on court ce risque-là. Si elle ne peut pas être là, on se retrouve avec uniquement des hommes et une image quand même particulière de la modernité et de l’innovation. (Note pour le prochain « mémo » : en inviter plus qu’une, peut-être même quatre ou cinq, comme ça, s’il y en a une qui a une extinction de voix, ça ne paraît pas. Et peut-être même qu’elles auraient des idées innovantes, différentes, on ne sait jamais.)

Insérer ici un petit émoji de la journaliste qui lève les yeux au ciel.

En 2019, j’en conviens, ce genre de situation arrive de moins en moins.

Pour que ça se remarque de façon aussi flagrante, c’est que ça détonne. Et je suis certaine que c’est la dernière fois que cette équipe de grands innovateurs va se retrouver dans une telle situation. Il y en a qui apprennent plus vite que d’autres.

Reste que tomber sur des équipes, des délégations, des listes de conférenciers 100 % masculines, 100 % caucasiennes, 100 % pantalons bleu marine est une réalité qui est encore loin d’être devenue rarissime.

Prenez les hautes directions d’entreprises.

S’il y en a qui croient sérieusement que l’égalité entre les hommes et les femmes est atteinte et que je coupe les cheveux en quatre ou en huit, allez jeter un coup d’œil sur l’internet. Googlez les mots « haute direction » suivis du nom de n’importe laquelle des plus grandes entreprises québécoises à capital ouvert, donc obligées d’être super transparentes.

Et dites-moi, ensuite, qu’il n’y a pas encore du travail à faire.

À la haute direction de Bombardier ? 15 hommes sur 15 postes.

Financière Power ? 18 sur 18.

Domtar ? 6 sur 6.

BCE (Bell) ? 12 sur 13.

Stella-Jones ? 19 sur 20.

Voulez-vous que je continue ?

Banque Nationale ? 9 sur 11.

Couche-Tard ? 10 sur 13.

Uni-Sélect ? 5 sur 6.

Fiera Capital ? 12 sur 14.

Parmi les dirigeants d’entreprises les plus généreusement rémunérés au Québec, tous issus de sociétés dont la valeur boursière dépasse les 500 millions de dollars, on compte seulement trois femmes, en bas de la liste.

La mieux payée est Sophie Brochu, d’Énergir (anciennement Gaz Métro), en 44e place. Il y a aussi Madeleine Paquin, chef de la direction de Logistec, en 47e place. Marie-Berthe Des Groseillers, qui a pris la succession de son père chez BMTC (Brault & Martineau), est en 53e place…

Bien loin derrière les salaires des présidents de CGI, Gildan ou Bombardier.

Saviez-vous d’ailleurs qu’Alain Bellemare gagne sept fois plus que Sophie Brochu ?

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Mais bon, il ne faut pas juste regarder ce qu’il reste à faire, il faut aussi parfois regarder le chemin parcouru.

Et même si ce n’est pas toujours évident au premier regard, il y a des signes positifs dénotant une certaine évolution concernant la place des femmes dans les hautes directions des grandes entreprises.

Chez Transcontinental, trois des six membres de la direction sont des femmes. La moitié. Serait-ce parce que le conseil d’administration est présidé par une femme très engagée dans la promotion des femmes dans le monde des affaires, Isabelle Marcoux, une de celles qui y croient et qui ont lu le « mémo » au sujet de la plus grande profitabilité des entreprises où règne la diversité ?

Chez CAE, une entreprise de haute technologie qui travaille surtout en aéronautique ? Trois des dix membres de l’équipe de direction sont des femmes, presque le tiers du groupe. Chez Air Canada ? Cinq sur vingt-quatre sont des femmes, y compris la numéro trois, Lucie Guillemette.

Autre fait intéressant, les « filles » sont là pour prendre la relève de leur père.

Chez CGI, la fille du fondateur Serge Godin, Julie Godin, est dans l’équipe de direction. Chez Transcontinental, la fille du fondateur Rémi Marcoux, Isabelle Marcoux, préside le conseil d’administration. Chez BMTC, la fille du fondateur, Marie-Berthe Des Groseillers, a pris la relève à la présidence.

Des femmes occupent aussi des postes qui ne sont pas nécessairement dans les créneaux stéréotypés, style ressources humaines ou communications. Ainsi, chez Air Canada, la vice-présidente qui dirige toute l’informatique est une femme, Catherine Dyer. Chez Couche-Tard aussi. Elle s’appelle Deborah Hall Lefevre.

Bref, le tableau n’est pas aussi décourageant qu’il en a l’air.

Mais est-ce qu’il y a encore du chemin à faire, de la place pour la réelle innovation par la voie de la diversité et de l’inclusion ? Oh oui !