Apple débarque dans le monde de la diffusion en continu. L'entreprise s'installera à l'automne dans cet univers du streaming, qui a fait des Netflix et Spotify de ce monde des acteurs maintenant incontournables de l'univers des médias, alors qu'on commençait à peine à les connaître il y a cinq, sept ans...

Sera-t-elle une joueuse de plus aux côtés de Netflix, Hulu et Amazon, ou encore de Warner et Disney, qui arrivent aussi avec de nouveaux plans semblables ?

Peut-être. 

Mais souvenez-vous quand Apple a décidé de mettre en marché son téléphone intelligent en 2007. Il y avait déjà les BlackBerry, Palm et autres Hiptop sur le marché. Et que s'est-il passé ?

Apple s'est imposée.

On parie combien que cette fois c'est le monde de la diffusion en continu qui sera élevé à un autre niveau de convivialité ?

***

La venue de concurrents nouveaux dans l'univers techno a généralement cette conséquence heureuse. Des progrès pour tous les consommateurs que l'on veut amadouer à tout prix par la richesse des contenus, la nouveauté et la facilité d'accès.

En plus, dans ce cas, Apple a les moyens de mettre le paquet pour proposer un produit de première qualité. L'entreprise va bien. Et même si elle arrive après Amazon et Netflix côté contenu dans l'espace temps, elle a une longueur d'avance exceptionnelle quant à la mise en marché de son nouveau service. On a tous ses appareils, sa boutique d'applications, son Apple TV, tout est en place pour nous aider à regarder tout ça... 

Donc Netflix et compagnie ont un bon nouvel obstacle sur leur chemin. Pour nous qui aimons les bonnes séries, c'est une nouvelle intéressante. Plus d'argent en production de séries par des gens qui en ont. 

Tous ceux qui travaillent dans ce secteur, aux États-Unis en premier, mais ailleurs aussi, devraient aussi se réjouir. On revoit enfin apparaître les sous qui ont inondé le marché de la techno, cette fois destinés à la production de contenus. 

La question qui se pose toutefois ici, au Québec et au Canada, c'est comment cet argent sera investi ? Produira-t-on des contenus locaux comme Netflix le fait déjà un peu ici et ailleurs ? Et est-ce que cette arrivée d'Apple fera augmenter les contenus américains de qualité, au détriment des contenus provenant d'autres pays qui n'ont pas le poids démographique et donc pas les marchés de diffusion à revenus suffisants pour se débattre devant ce géant ?

***

« C'est l'eldorado de la télé », lance Sylvain Lafrance, ancien grand patron d'ICI Radio-Canada, spécialiste des médias, aujourd'hui à HEC Montréal, en commentant la nouvelle. « Mais cela vient accentuer un paradoxe. »

Si on a toutes sortes de contenus nouveaux venus d'Apple, avec des vedettes comme Oprah, Steve Carell, Jennifer Aniston et Reese Witherspoon pour le confirmer, qui sont venues appuyer le géant de la techno dans la présentation de son projet hier, c'est génial. On peut se dire qu'on ne s'ennuiera jamais avec autant de bonne nouvelle télé. On l'a vu, les nouveaux joueurs comme Netflix et Amazon proposent des contenus de qualité au moins égale à ceux des producteurs traditionnels de la télé américaine.

« Mais au Québec et au Canada, on pourrait se voir nous-mêmes de moins en moins », ajoute M. Lafrance.

La question se pose surtout au Canada anglais, où la proximité avec la culture américaine rend le marché particulièrement vulnérable à la prépondérance des contenus venus de Hollywood.

Au Québec, on a nos habitudes, nos goûts, nos vedettes. « On fait de l'excellente télé, et on y tient », dit M. Lafrance. On veut nos Unité 9, Ruptures, La Voix et compagnie.

Mais est-on protégé pour toujours ? « Combien de temps tiendra ce rempart ? Ce n'est pas simple à prévoir. »

Chose certaine, il faut penser maintenant, pas demain, aux moyens à prendre pour assurer la pérennité de la production de contenus qui parlent de nous, de nos réalités, de notre histoire, de nos particularités. S'assurer que cela puisse continuer.

Selon M. Lafrance, pour cela, il faut que le secteur accepte de sortir des sentiers battus et fasse notamment des alliances, des partenariats, de la mise en commun d'outils et de ressources. « Et des partenariats parfois improbables. »

Il évoque notamment l'ouverture aux nouveaux contenus à Tou.tv, qui permet la diffusion de toutes sortes d'émissions issues du privé, une plateforme de diffusion en continu au départ vouée à la diffusion de contenus issus d'entités publiques. « On n'aurait jamais pensé ça avant, dit-il. Mais c'est nécessaire pour renforcer les plateformes. »

Sylvain Lafrance enjoint aussi les gouvernements à agir rapidement pour aider l'industrie culturelle à assurer son avenir, avec notamment des outils qui ne demandent pas des législations hypercompliquées. On peut par exemple, inspiré par l'Union européenne, exiger des diffuseurs de contenus qui font affaire ici, mais qui ne sont pas d'ici, qu'ils proposent systématiquement un certain pourcentage de produits locaux. Il suffit de programmer ainsi leurs algorithmes pour les suggestions ou carrément pour leurs répertoires. La règle du contenu canadien a joué un rôle efficace autant en télé qu'en radio.

On peut aussi demander à toutes les entreprises de payer des impôts ici et de récolter des taxes. Le gouvernement du Québec a avancé sur ça, explique M. Lafrance, mais pas celui du Canada.

Bref, il y a urgence à réfléchir, mais surtout à agir. Le changement et la nouveauté, c'est super. Si on les gère bien.