Il y en a qui s'inquiètent de la présence de trop d'immigrés au Québec.

Et puis il y en a qui voient leurs entreprises confrontées à de sérieux problèmes de recrutement et qui doivent déplacer leurs activités aux États-Unis, parce qu'il n'y a pas assez de travailleurs venus d'ailleurs pour faire rouler leurs usines ici.

C'est le cas de Rotobec, à Sainte-Justine, dans Chaudière-Appalaches.

Alors que le gouvernement de François Legault annonce une réduction de 20 % du nombre d'immigrés qui seront reçus au Québec l'an prochain, Rotobec, elle, essaie de trouver une façon de faire fonctionner son usine.

Cette année, l'entreprise qui fabrique de l'équipement de manutention a dû déplacer une chaîne de montage et une vingtaine de postes du Québec vers Littleton, au New Hampshire, où elle possède une autre usine. « On ne trouvait pas les travailleurs ici », explique Cathy Roberge, qui dirige le service des ressources humaines de la société.

Et l'agrandissement de l'usine de Sainte-Justine dont il a été question dans le passé ? Il n'aura pas lieu. À la place, explique Mme Roberge, Rotobec a acheté un terrain aux États-Unis. « Le développement va se faire là-bas. »

Et tout cela est lié à des problèmes de main-d'oeuvre, madame Roberge ?

« Oui. »

Rotobec a besoin de mécaniciens pour les engins de chantiers, de soudeurs, de machinistes. Ces travailleurs, l'entreprise ne les trouve pas au sein de la population actuelle de la région. Les écoles locales ne fournissent pas. Et puis la formation, c'est dans l'usine qu'elle se donne. Ce dont elle a besoin, ce sont des employés prêts à apprendre, prêts à s'investir. Et pour ça, elle n'a pas le choix, elle doit aller les chercher ailleurs. Actuellement, 83 des 385 employés de l'usine de Sainte-Justine sont issus de l'immigration.

Que pense Mme Roberge de l'annonce du gouvernement de François Legault ? Je l'entends soupirer un peu au bout du fil.

« Ils nous ont dit que cela n'affecterait pas les secteurs où il y a des pénuries. Ils ont dit que ça serait plus à Montréal. »

- Cathy Roberge, direction du service des ressources humaines chez Rotobec

« J'espère que la situation ne sera pas aggravée. »

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Chez Béton Bolduc, à Sainte-Marie, en Beauce, le problème de recrutement est semblable. « Il nous manque actuellement au moins six personnes », explique Louisette Lavoie, directrice des finances et responsable des ressources humaines de cette entreprise qui produit des pavés de béton. « Des quarts de travail ont dû être fermés cet été. »

Béton Bolduc est une plus petite entreprise que Rotobec, avec ses 50 employés, mais le problème est aussi criant. Des ouvriers, elle en cherche. Et Mme Lavoie est déjà fatiguée par la complexité et par la longueur du processus pour recruter.

Imaginez maintenant. « C'est vraiment bizarre comme annonce », laisse-t-elle tomber, en parlant de cette fameuse réduction des niveaux d'accueil pour les réfugiés, la réunification familiale, mais aussi les immigrants économiques.

« Lundi, on a eu une consultation avec le MIDI [ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion], poursuit la responsable des ressources humaines. C'était la même consultation que la semaine d'avant avec le Carrefour jeunesse-emploi. Des consultations, on en a eu ! », lance-t-elle.

Chaque fois, explique Mme Lavoie, on pose les mêmes questions aux entreprises. « Comment peut-on vous aider ? »

Et chaque fois, tout le monde a envie de répondre pas mal la même chose : si vous voulez nous aider, arrêtez de consulter, accélérez les processus, permettez-nous d'avoir du monde pour faire rouler nos entreprises et remplir nos commandes, peut-être même développer nos marchés.

Ce que les entreprises veulent, ce sont des travailleurs. Et un processus simple pour en trouver et les faire venir au Québec. « Parce que pour chaque personne, c'est tellement long ! » Parfois, dit Mme Lavoie, il faut attendre un an. Même si le travailleur a été trouvé, avec les qualifications et tout ce qu'il faut.

« Nous, en plus, quand on les recrute, on fait toutes les vérifications sur ses qualifications. On veut juste que le gouvernement vérifie si ce ne sont pas des bandits. Le reste, on s'en occupe. »

« Oui, toute cette lenteur nuit, en fin de compte, à notre production. »

- Louisette Lavoie, directrice des finances et responsable des ressources humaines chez Béton Bolduc

Cette lenteur nuit aux entreprises. À la rentabilité, à la productivité... Et donc aux retombées économiques dans la région.

Vu de la Beauce de Mme Lavoie et de Mme Roberge, le problème, ce n'est pas un nombre trop grand d'immigrés. Le problème, c'est un système trop lent et trop compliqué qui ne permet pas aux entreprises de faire leur boulot - recruter, former, encadrer, rapidement et efficacement, ces travailleurs et leurs familles - et qui ne leur permet donc pas d'optimiser les processus d'intégration par le chemin du travail.

Moins d'immigrés ? Pourquoi ne pas essayer de permettre aux gens de mieux immigrer ?

Aujourd'hui, en 2018, presque 2019, vouloir la croissance économique du Québec, c'est être prêt à réellement réfléchir à l'amélioration, pas à la réduction, de l'immigration. Une entreprise qui déplace son travail aux États-Unis : peut-on se permettre ça ?