Donald Trump est obsédé par le lait canadien.

Ou encore, on dirait qu'il est fasciné par la facilité avec laquelle il peut répéter à qui veut l'entendre que le Canada impose des tarifs de 270% sur les produits laitiers.

C'est simple. C'est frappant. Et c'est vrai en plus, imaginez. Le bonheur.

Il a commencé au Wisconsin au printemps. Il l'a répété encore la semaine dernière, alors qu'il faisait une sorte de bilan de sa rencontre avec le nouvel élu présidentiel mexicain, Andrés Manuel López Obrador, où il a été question évidemment de la suite de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Je vous résume - très librement - ce qu'il a dit de ces discussions : le Mexique vient d'élire quelqu'un avec une forte majorité, on a eu une très bonne discussion avec lui et on va probablement chercher une nouvelle entente commerciale juste avec ce pays, pour remplacer l'ALENA. Le Canada, avec ses insupportables tarifs sur le lait, viendra après.

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Mais qu'est-ce qui l'énerve tant avec notre lait? Ou plutôt, quelle est cette nécessité de revenir sans cesse sur la question?

Quelques idées : 

1. D'abord, avant toute chose, précisons que ce fameux chiffre de 270% est vrai. Oui, il y a de tels tarifs, il y en a même de plus de 300 % sur certains produits laitiers. Curieux que M. Trump ne parle pas de ceux-là aussi, encore plus spectaculaires. Mais ce sont des tarifs imposés une fois que les importations ont dépassé une certaine limite allouée, entendue, appelée «contingent» dans le jargon. Les tarifs pour ces importations prévues sont plutôt de l'ordre de 7,5%... L'autre tarif qui semble dément, c'est plus tard, et quand j'ai posé la question aux Producteurs de lait du Québec, à savoir «l'impose-t-on vraiment?», on m'a dit que dans les faits, ça n'arrivait pratiquement jamais. Cela dit, oui, le Canada protège son marché laitier et son industrie laitière, et quand l'ALENA a été négocié, ces mesures de protection, essentiellement des tarifs pour l'extérieur et un système de gestion de l'offre à l'intérieur, n'ont pas été effacées.

2. Les États-Unis n'ont pas des mesures protectionnistes aussi sensationnalistes. Mais cela ne veut pas dire que l'industrie laitière américaine n'est pas aidée par son gouvernement. L'approche est différente. Aux États-Unis, par différentes actions, on aide les fermiers à produire beaucoup et à vendre leurs produits moins cher. Ces bas prix protègent le marché, puisqu'ils rendent la concurrence difficile pour les produits venant de l'extérieur. Et cela fait plaisir aux consommateurs. Le problème, c'est que cette approche provoque des surplus de production. En 2016, les producteurs de lait américains ont été obligés de se débarrasser de 43 millions de gallons de lait, soit 163 millions de litres. Quand on parle de gaspillage alimentaire, en voilà un exemple énorme. Ce lait ne pollue pas l'environnement, puisque c'est de la matière organique qui est recyclée, mais cette surproduction signifie qu'on utilise, qu'on use des ressources - la terre qui produit la nourriture, les vaches, les humains qui travaillent dans ces fermes - pour rien. C'est un non-sens. Et les producteurs laitiers américains, d'ailleurs, ne raffolent pas de ça du tout. Dans un reportage récent de La Terre de chez nous, on raconte qu'en mars, la fédération des producteurs de lait du Wisconsin a invité des représentants de l'industrie laitière ontarienne pour parler du système de gestion de l'offre canadien et pour entamer une conversation avec leurs membres et leurs collègues sur le sujet. Je vous rappelle que le Wisconsin, c'est là que Trump a dit en premier que le Canada était épouvantable avec ses tarifs.

3. Il est évident qu'il y a de l'électoralisme trumpien sous cela. Il est aussi vrai qu'il y a un réel problème dans l'industrie laitière américaine. Les prix trop bas, les surplus, les difficultés financières des fermiers ont causé une vague de suicides dont les médias ont beaucoup parlé depuis le début de l'année. Dans un reportage du New York Times, on apprend qu'il y a maintenant des programmes de prévention du suicide et des services d'aide spéciaux qui ont été mis en place pour les agriculteurs. Un autre reportage de NPR raconte comment les fermiers du Vermont envient leurs collègues de l'autre côté de la frontière, où ils sont payés environ une fois et demie plus cher pour leur lait. La vraie question est donc : est-ce qu'ouvrir les frontières comme le demande Trump aiderait vraiment les fermiers américains? Est-ce vraiment ce qu'ils veulent? Ce n'est pas clair. Ils sont probablement heureux d'entendre que leur président se soucie d'eux, mais rien ne dit que l'exportation est la panacée recherchée. Entre travailler plus pour être payés moins cher au litre et travailler moins pour être payés plus cher au litre, à la canadienne, que pensez-vous vraiment qu'ils vont préférer?

4. Le Canada doit tenir bon et protéger son système de gestion de l'offre. Est-il parfait? Non. Il doit être adapté, modernisé, pour permettre plus de créativité, d'innovation, de souplesse, pour ouvrir la place aux producteurs qui veulent faire les choses différemment. Mais ses fondements doivent rester solides. Le contre-exemple américain nous le rappelle. Pour le moment, on ne sait pas encore si l'ALENA sera réellement rouvert comme Trump en parle sans cesse. Probablement que les élections de l'automne nous donneront une bonne idée de ce à quoi ressemblera la suite de cette présidence inquiétante et déconcertante.