Le 9 mars dernier, la metteure en scène québécoise d'origine française Brigitte Haentjens a reçu un des Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle 2017, assortis d'une bourse de 25 000 $, remis chaque année à des personnes marquantes dans ce secteur au Canada.

Sauf que contrairement à ce qui se passe habituellement, Haentjens n'a ni accepté la bourse pour elle en remerciant profusément les jurés ni refusé le prix de façon spectaculaire, comme l'ont déjà fait les Leonard Cohen ou Hubert Aquin de ce monde.

Mme Haentjens a plutôt annoncé, en exclusivité à mon collègue Luc Boulanger la semaine dernière, qu'elle accepterait le prix, mais qu'elle redonnerait la bourse, à parts égales, à cinq jeunes artistes qui ont plus besoin de cet argent qu'elle.

Elle donnera donc tout cela à la metteure en scène Catherine Vidal, à la scénographe Julie Vallée-Léger, à la dramaturge Andréane Roy, à la metteure en scène et directrice de la compagnie Joe, Jack et John Catherine Bourgeois et à l'auteur, poète et interprète acadien Gabriel Robichaud.

« Ce n'est pas quelque chose à laquelle j'ai pensé longuement », explique Haentjens en entrevue vidéo, jointe à Paris où elle était cette semaine en voyage de découverte et de rencontres théâtrales. 

« Ça a été un élan spontané du coeur quand j'ai su que je recevais ce prix... J'ai le goût de redonner depuis très longtemps. »

- Brigitte Haentjens

La metteure en scène venue de France au Canada en 1977, d'abord en Ontario puis au Québec, travaille depuis toujours avec des jeunes. « Je suis mentor et j'essaie de les soutenir », dit-elle. « J'essaie de donner ce que je n'ai pas nécessairement reçu. »

« Et c'est important dans cette société fractionnée de faire partie d'une chaîne de solidarité, non ? »

À Paris, la metteure en scène trouve d'ailleurs l'humeur politique bien morose et s'interroge sur mille sujets. Marine Le Pen est-elle pire que Donald Trump ? Où est passée la volonté de changer le monde et de s'entraider d'après les attentats ? Qu'est-ce que ce sentiment d'apathie auquel se mêlent des relents de violence ? 

« Il y a actuellement ici le sentiment que tout doit être complètement repensé, qu'il faut se débarrasser des vieux schèmes. En trouver de nouveaux. C'est très explosif. »

Et à travers tout cela, Mme Haentjens prend du recul par rapport à la « frénésie montréalaise ». Et elle voit et revoit des spectacles différents, s'imprègne de créations diverses, tisse des liens qui nourriront sa démarche comme artiste et comme directrice du programme français de théâtre du Centre national des arts à Ottawa. « Et je regarde leurs conditions de création en France et ça rend jaloux », dit-elle. L'argent investi en culture, bien sûr, mais aussi le temps qu'on s'accorde, sans poser de questions, pour toute démarche artistique. Et l'ampleur du bassin de population qui pourra en profiter. Un luxe, aux yeux de l'artiste.

Cela dit, donc, l'argent de la bourse, elle n'en a pas besoin ? Elle répond en riant qu'elle est plutôt de gauche, plutôt écolo et qu'elle n'a jamais choisi ce métier de metteur en scène pour s'enrichir. « Je n'ai jamais eu l'ambition de devenir millionnaire ! »

Au contraire, ce qui la fait vibrer, c'est de savoir qu'elle tend la main à d'autres. Comme Andréane Roy, dont la fonction de « dramaturge » est souvent mal comprise, dit la metteure en scène. Il ne s'agit pas d'écrire des textes, ce n'est pas un autre nom pour « auteur » ; il s'agit bien d'une fonction qui consiste à donner de la profondeur au travail du metteur en scène en apportant plus de données pour mieux comprendre les oeuvres montées et alimenter la réflexion. Ou encore Gabriel Robichaud, « un curieux, un vorace de théâtre ». Ou Catherine Vidal dont elle admire le travail de metteure en scène engagée.

Est-ce dire qu'elle a passé le flambeau, à 65 ans, même si son poste au Centre national des arts (CNA) a été prolongé jusqu'en 2021 ?

Pas du tout. Elle poursuit son travail et pilote plusieurs projets. « Le temps qui passe donne une sorte de fébrilité d'avancer », explique-t-elle. Comme si tout devenait un peu : maintenant ou jamais.

Elle se prépare donc à monter Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès au Théâtre français du CNA, en 2018, avec Sébastien Ricard, et poursuit La Bibliothèque interdite de Denis Plante, inspirée des textes de Borgès, au Théâtre de Quat'Sous dès avril.

À plus long terme, il y a un projet sur Patti Smith et les punks. « Je suis fascinée par les punks », dit-elle. On a hâte de voir ça.