Ici on appelle ça le Vendredi fou, en bon français, mais le concept n'a rien de québécois.

La journée de soldes qu'est devenu le dernier vendredi de novembre, aujourd'hui, est une idée totalement américaine. On appelle le « vendredi fou » ce qui se nomme en anglais le Black Friday, soit le vendredi « pont » entre le jeudi de l'Action de grâce américaine (Thanksgiving) - fête cruciale là-bas - et le week-end. C'est depuis des décennies un moment consacré au shopping soldé. Si le Boxing Day marque la fin de la période de magasinage des Fêtes, le Black Friday, lui, en signale le début. Pourquoi « noir » ? Parce que, propose Wikipédia parmi plusieurs théories historiques, c'est le moment où les commerçants commencent réellement à faire des profits et sortent donc du rouge vers le noir sur leurs fiches comptables.

Pourquoi est-ce rendu ici ?

C'est arrivé par l'internet. Ou du moins par la vente au détail par l'internet, qui a fait connaître le phénomène aux Canadiens en général et aux Québécois ensuite.

Selon Léopold Turgeon, président du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), les Québécois ont été lents à réagir, mais le mouvement prend de l'ampleur ici depuis environ trois ans.

photo david boily, archives la presse

Est-ce que le Vendredi fou avantageux pour les consommateurs? «Clairement», croit Léopold Turgeon, président du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), les Québécois. Ce le serait toutefois moins pour les commerçants.

Voitures, voyages, vêtements... Il y a des rabais partout.

Est-ce avantageux pour les consommateurs ? « Clairement », croit M. Turgeon. Il y a des rabais pour vrai.

Par contre, est-ce une bonne chose pour la planète ? Pas du tout, rétorquent diverses organisations environnementales et pro-consommation responsable, qui invitent les citoyens à marquer la journée par un refus d'acheter et de participer à la frénésie commerciale moussée pour l'occasion artificiellement.

Mais est-ce même une bonne chose pour les commerçants ? Pas nécessairement.

Le président du CQCD croit en effet que s'ils avaient le choix, les détaillants éviteraient d'embarquer. Les rabais rognent les marges, évidemment. Et ici, le vendredi en question n'a pas d'ancrage dans le calendrier qui justifie tout le battage. Ce n'est pas une journée de congé pour une vaste partie de la population comme ce l'est aux États-Unis et rien ne justifie de commencer le magasinage de Noël ce jour-là plutôt qu'un autre, plus tôt ou plus tard.

« Mais les consommateurs le réclament », dit M. Turgeon. Et selon un sondage réalisé pour son organisme, quelque 35 % des Québécois ont l'intention de participer aux promotions commerciales du Vendredi fou et du Cyberlundi, la suite des soldes en ligne le lundi suivant. On parle ici d'une hausse de 6 % des intentions d'achats, par rapport à 2015.

Donc si les consommateurs le demandent et que certains gros joueurs embarquent, les autres marchands n'ont pas le choix de suivre la meute.

Avant l'internet, on n'était juste pas autant au courant du phénomène et la vente en ligne ne permettait pas d'en profiter instantanément, donc on laissait cette pratique aux Américains. Maintenant, on vit tous un peu ensemble dans le vaste centre commercial virtuel qu'est le web. Donc quand un détaillant décide de réduire ses prix, les autres peuvent difficilement l'ignorer. On n'est pas en France, où les soldes sont encadrés par des règles rigides, fixant leurs dates, leur durée et leur nombre : deux fois par année, pendant six semaines, c'est tout, point barre. Mais même là, le « Black Friday » - là-bas on ne traduit pas - s'impose pour tout ce qui est commerce en ligne. Fnac, Redoute et compagnie y participent, en plus des commerces américains du web accessibles dans l'Hexagone.

Bref, la mondialisation, ou encore l'américanisation, de notre culture de consommation s'exprime totalement par ce (relativement) nouveau phénomène.

Doit-on y résister ?

Selon M. Turgeon il y a actuellement une augmentation de la consommation au Québec. Quelque 4,3 % entre janvier et septembre. Un chiffre non négligeable. Explication ? C'est à cause de la valeur du dollar canadien qui encourage, par sa faiblesse, les achats locaux. Là-dessus, le président du CQCD est catégorique : il n'y a pas d'autres raisons.

Donc, en toute logique, les soldes du Vendredi fou ne devraient pas rogner dans les sommes totales dépensées chez les détaillants. Pour le reste du temps menant à Noël, les consommateurs ont dit aux sondeurs du conseil qu'ils entendaient dépenser 2 % de moins que l'an dernier - en cadeaux et pour faire bombance -, mais M. Turgeon a des doutes puisque la tendance dit l'inverse.

Ce que les soldes du Vendredi fou font, en revanche, c'est causer un certain déplacement temporel des dépenses. Mais là encore, ce n'est pas l'unique facteur. Cette année, l'onde de choc qui nous a fait sortir magasiner, c'est une tempête de neige. Il n'y a rien comme ça pour nous faire réaliser qu'on a besoin de nouvelles bottes. Et d'acheter des pneus d'hiver.