Au moment où j'écris ces lignes, l'atmosphère est d'une tristesse infinie sur la 11e Avenue, devant le Javits Center, là où le Parti démocrate avait convié ses partisans pour célébrer, espérait-on, la victoire d'Hillary Clinton.

Les visages sont pétrifiés, des larmes coulent alors que tout le monde regarde, figé, un écran géant où différentes chaînes américaines livrent les résultats. Elle vient de perdre la Floride, les mauvaises nouvelles s'accumulent.

« She can still win », hurlent des partisans infatigables. Elle peut encore gagner. Mais personne ne semble plus y croire.

« Une mauvaise nouvelle ? Mon Dieu, par où commencer ? », laisse tomber Andrew Gumbs, chirurgien cancérologue. « Je pense que je vais déménager. Peut-être à Montréal. Peut-être en Italie. Ma mère est italienne, j'ai le passeport. »

Selon le médecin, une présidence Trump est synonyme d'une fuite des cerveaux alors que c'est la force de la société américaine. « Il a tellement de dettes vis-à-vis de la droite religieuse. Comment les scientifiques pourront-ils faire de la recherche ? » Qui aura envie de vivre encore dans cette société...

Opposé au libre-échange, à l'immigration, à la transparence fiscale, lui-même porteur d'un bilan mitigé comme homme d'affaires, Trump fait aussi peur aux marchés. Les Bourses l'ont déjà exprimé.

Mais il fait peur aussi aux gens d'affaires. « On l'a vu tout le long de cette campagne, ce que les marchés et les investisseurs pensent de lui », a commenté Kenneth Zweig, lobbyiste. « Pour mon entreprise, ce n'est pas nécessairement une mauvaise nouvelle parce que les entreprises auront besoin d'aide pour faire des affaires avec les gouvernements. Mais pour le pays ? C'est autre chose. »

Brooke Biethan-Xavier, elle, figée devant les écrans où étaient projetés les résultats, n'en croyait simplement pas ses yeux, même si la présence de la chanteuse Katy Perry à deux pas, sur la scène du Javits Center, a brièvement ramené un sourire sur son visage. Inquiète ? Un euphémisme. Son entreprise recrute des étudiants à l'étranger, les plus brillants, les plus prometteurs, dans des secteurs de pointe pour les convaincre de venir étudier aux États-Unis. « On ne va pas faire faillite demain matin, mais ça va rendre notre travail pas mal plus difficile, il va y avoir un recul, c'est évident », commente-t-elle.

Un déménagement dans un autre pays ? « On va y penser, c'est sûr. »

Au moment d'écrire ces lignes, l'atmosphère est d'une tristesse infinie chez les partisans d'Hillary, mais les larmes se mêlent surtout à la stupeur, à l'incrédulité. Comment un personnage aussi mal préparé pour la gestion d'une puissance mondiale, aussi ouvertement opposé à tant de valeurs fondatrices de la société américaine a-t-il pu se rendre là ?

« Ce gars-là n'a aucune idée de ce qu'il va faire avec notre économie », commente Mme Biethan-Xavier. « Il n'a pas de plan, il n'a pas le savoir... »

« Imaginez, ajoute M. Zweig, s'il fait tout ce qu'il a dit. Renégocier ou carrément renier nos accords commerciaux, ramener les tarifs... »

Les Américains avec qui je discute me rappellent que le Canada serait grandement touché si l'ALENA est remis en question ; donc toute la structure des relations commerciales entre les deux pays serait remise en question.

Tout le monde hoche la tête.

Est-ce vraiment en train d'arriver ?

Photo Carlos Barria, Reuters

Au Javits Center, où les partisans d'Hillary Clinton s'étaient donné rendez-vous pour célébrer une éventuelle victoire de la candidate, les visages étaient pétrifiés, des larmes coulaient alors que tout le monde regardait l'écran géant où différentes chaînes américaines livraient les résultats.