Maintenant que la Wallonie a finalement donné son accord à un traité de libre-échange version ajustée entre le Canada et l'Union européenne (UE), on peut commencer à parler de l'incidence que l'entente aura sur notre économie. En théorie, il reste encore certaines tribunes démocratiques pour que ceux qui s'opposent à l'entente se fassent entendre, puisque chaque État de l'UE doit ratifier le document.

Mais on est, disons-le clairement, dans les derniers kilomètres avant que tout soit final. Doit-on donc maintenant craindre la robotisation de nos vaches et la disparition de nos fromages, terrassés par une invasion d'époisses et de reblochon ? Cinq pistes de discussion...

1. L'arrivée des fromages européens dans notre marché fait beaucoup jaser. On parle de quelque 17 700 tonnes de fromages - une projection - qui arriveraient ici par année par suite de l'abolition des droits de douane, dont 16 000 tonnes de produits dits « de spécialité ». Pour les producteurs laitiers, c'est grave au point de demander des compensations financières, promises par le gouvernement précédent et confirmées par les libéraux à Ottawa, mais dont on ne connaît pas le montant. Mais qui se sent le plus menacé ? 

Nos fabricants d'imitations de camemberts, de bries, de goudas, qui sont parfois des PME, mais aussi souvent de grands industriels. Bonjour le paradoxe. Le paysan et député européen José Bové, qui était ici récemment, grand opposant à l'accord, est aussi le plus grand défenseur des appellations et de la défense de la propriété intellectuelle collective des petits agriculteurs et producteurs européens qui ont créé lesdits fromages dans leur version originale.

Doit-on vraiment protéger le droit de nos industriels de vendre des bries et des goudas dont le marketing est ancré dans les traditions et expertises d'éleveurs et fromagers européens qui n'en profitent en rien ? 

Et doit-on les dédommager pour le manque à gagner que créerait l'arrivée des produits européens originaux ici ? Ne doit-on pas protéger et dédommager seulement les tout petits fromagers, ceux qui se battent déjà comme des David contre Goliath, pour mettre en marché leurs produits originaux, différents, naturels, typiques ?

2. Le prix de nos fromages. On s'inquiète beaucoup, toujours dans le secteur du fromage, des répercussions sur le marché qu'auront les produits fins européens parce que la production subventionnée en UE permet des prix hautement concurrentiels. Soit. Mais n'est-ce pas aussi, donc, le temps de se demander pourquoi le fromage québécois est parfois si cher ? Ou du moins trop cher aux yeux de bien des consommateurs. Ne serait-ce pas, notamment, à cause des coûts liés aux règles de la gestion de l'offre ?

Quand un producteur de fromage - comme la famille Gosselin-Dufresne d'Au Gré des champs en Montérégie - doit racheter pour 1000 $ par mois des Producteurs de lait du Québec le droit de se servir de son propre lait parce que c'est ainsi qu'on fonctionne dans ce grand syndicat, on peut se poser de sérieuses questions. On n'a plus de barrières tarifaires ? La réponse aux grands industriels laitiers européens passe aussi par la liberté et la flexibilité des entreprises d'ici qui veulent percer tous les marchés.

3. Le vrai problème actuel des producteurs laitiers québécois, est-ce l'importation de produits européens - enfin de la vraie feta grecque ! du vrai roquefort ! - ou n'est-ce pas plutôt le lait « diafiltré », ce concentré de protéines laitières liquide produit aux États-Unis et vendu ici à prix très bas, en faisant fi des droits de douane et en contournant, évidemment, notre système de gestion de l'offre puisque c'est un produit hors catégorie ? Nul besoin de préciser que ce ne sont pas les microproducteurs de fromages et de yaourts qui utilisent cela.

4. Est-ce vraiment une mauvaise idée que les Européens viennent secouer les plumes des producteurs alimentaires et agricoles d'ici ? Est-ce normal, par exemple, que des boulangers montréalais fassent venir leur beurre de Bretagne pour préparer des croissants qui ont du bon sens ? 

Le problème, alors, est-ce le concurrent français ou la machine québécoise qui n'est pas capable de réagir à la demande pour de tels produits ? Et si la possibilité d'avoir accès à un marché européen aux goûts différents permettait à certains producteurs de niche d'ici de fabriquer - enfin - des beurres artisanaux trippants, plus de yaourts fins, etc. ? Ici, les Cult, Ferme de la vallée verte et Riviera donnent enfin un air de jeunesse à nos étalages laitiers avec une offre différente de celles des marques archi connues. 

Mais n'est-il pas temps d'amener nos beurres, nos yaourts, nos crèmes et compagnie ailleurs que sur les pistes américaines avec extra-amidon et extra-colorant ?

5. Une crainte réelle ? Il y en a, des craintes réelles. Celle, notamment, de la consolidation de l'industrie, des achats d'entreprises, de la concentration... Comme il y en a ailleurs, évidemment. Pensons Rona et St-Hubert. 

D'où la nécessité de décoincer le système pour permettre la création d'entreprises. Il y a des millions et des millions coincés en quotas, de l'argent que les fermiers ne récupéreront pas s'ils vendent leur ferme à leurs enfants, qui iront consolider le trésor intangible d'un autre producteur si la ferme est démantelée, bref des fortunes gelées - cela rappelle les permis de taxi - qui ne servent qu'à garantir des barrières. Est-ce vraiment la meilleure façon de les faire fructifier ?