« Il faut faire la paix. Je ne vois juste pas d'autre solution.

- Oui, mais avec qui ? »

On est chez des amis pour célébrer le 14 juillet. Certains sont d'origine française, d'autres pas. On s'est emparé de la Fête nationale de l'Hexagone comme prétexte pour se voir, boire du Bourgogne, manger peut-être un peu d'Époisses et parler du Brexit et de l'Euro. À la place, on parle de Nice, de cet attentat dégueulasse qui a fait 80 morts, et on se demande tous si la réalité n'est pas en train de ressembler un peu trop au dernier roman, à la fiction de Michel Houellebecq.

Les tueries qui se multiplient, qui se banalisent. Après Charlie Hebdo, après le Bataclan, juste en France, mais aussi après Bruxelles, après Orlando...

Qui aurait cru ? C'est rendu presque chaque mois. Quand est-ce que ça va arrêter ?

Quand va-t-on faire la paix ? Et avec qui ?

***

« Ce qui est difficile, c'est d'être à la fois en deuil, respectueusement à cause de ce qui vient de se passer, mais d'affirmer aussi que la vie n'arrêtera pas, que notre vie ne changera pas pour ça », dit une amie française. « Parce qu'il faut absolument conserver la joie de vivre. »

La discussion se poursuit. Évidemment, personne n'a de réponse. Juste de la peine. De l'incompréhension. De la frustration.

« On ne va pas commencer à penser à s'arrêter pour ça, dit un autre ami. Sinon on ne pourra plus rien faire. Et c'est ça leur but. Montrer qu'ils peuvent frapper juste n'importe où, partout et nous paralyser. Il faut dire non.

- Et puis on ne peut pas tous vivre protégés chacun par un soldat avec un M16, rétorque un autre.

- Statistiquement, le risque demeure faible.

- Ce sont les terroristes qui sont faibles. Ils ne sont pas si bien armés. Regarde, un camion...

- Oui, justement, un camion. Tant de choses peuvent être létales si on est fou. »

Au départ, l'atmosphère n'est pas autant à la fête qu'on l'aurait voulu. « T'imagines comme il faut être frappadingue pour rouler pendant des kilomètres sur des corps humains... »

Apparemment, selon certains témoins, le chauffeur faisait exprès pour rouler sur le plus de personnes possible, en donnant des coups de volant comme dans un jeu vidéo. Horriblement surréaliste.

La soirée continue. On finit par écouter du Alain Souchon, Laurent Voulzy, on rit.

***

Sur le web, les nouvelles arrivent au compte-gouttes. Tout le monde est consterné, dépassé.

Je repense à l'homme d'affaires que j'ai interviewé au début de la semaine pour un tout autre dossier. Un haut placé dans une chaîne d'hôtels européenne qui gère toutes sortes de grands établissements, qu'on appelle des « tout-inclus », exactement le genre de lieux qui ont été fortement touchés par les retombées de l'attentat terroriste de Sousse, en Tunisie, l'été dernier, qui a fait 39 morts et 30 blessés. Au Maghreb, toute l'industrie a été frappée. Les touristes ont déserté.

« La clientèle s'est déplacée vers la Méditerranée européenne », m'a-t-il expliqué alors qu'on analysait les grandes tendances du marché. « Et on a aussi entendu toutes sortes de choses sur la possibilité de menaces sur les plages d'Europe », a-t-il ajouté, précisant qu'il fallait maintenant vivre avec cette épée de Damoclès...

C'était lundi.

Jeudi, le pire s'était déjà produit. Presque à la plage, dans une fête, dans un grand rassemblement pour regarder les feux d'artifice du 14 juillet, la soirée en famille ou entre copains par excellence, alors que la brûlure de la chaleur estivale du Sud s'estompe enfin à la noirceur, que les cigales tiennent le rythme et que l'été impose son mode relax.

On est sur la mythique promenade des Anglais à Nice.

Le genre de lieu, un peu comme la fin du marathon de Boston, un peu comme le 11e à Paris avec ses restos joyeux et ses salles de spectacles cool, qui n'évoque normalement que du bon : du soleil, de la chaleur, la douceur privilégiée de la Côte d'Azur.

Et c'est ça que les terroristes détestent. Le bonheur des autres.