Il s'est passé de grandes choses la semaine dernière à Montréal dans le monde de l'économie sociale.

Dans le cadre de C2 Montréal et d'une série d'événements organisés par Phoebe Greenberg, la grande mécène du Centre Phi, des visiteurs de marque, en commençant par le grand chef italien et activiste social Massimo Bottura, sont en effet venus semer toutes sortes d'idées pour faire pousser des projets de récupération alimentaire pour nourrir les démunis.

Et si on se fie à l'accueil de rock star réservé à Bottura jeudi midi à C2 Montréal et à l'enthousiasme démontré par le maire Denis Coderre à un grand souper-bénéfice signé par le triple étoilé vendredi soir, les pistes lancées ont trouvé un terreau très réceptif.

Tant mieux, parce que quand on vit dans un pays qui gaspille pour 31 milliards de dollars par année en nourriture, il faut faire quelque chose.

Vendredi, à ce grand repas au Centre Phi organisé pour amasser des sous pour l'organisme québécois La tablée des chefs et la fondation Food for Soul du couple Bottura, on a vu à maintes reprises le chef et le maire Coderre échanger en tête à tête. « Il n'y a rien à ne pas aimer dans ce qu'il fait, m'a confié M. Coderre en entrevue. Et ça correspond tout à fait à qui nous sommes, nous, à Montréal. »

Le projet dont Bottura est venu parler dans la métropole - sur lequel j'avais fait un reportage l'été dernier - et qui pourrait peut-être prendre racine ici un jour est né en Italie dans le cadre de l'Expo universelle de Milan, à l'été 2015. Alors que l'Expo cherchait à disserter sur le thème « Nourrir la planète », à coups de pavillons souvent financés par les grandes marques industrielles du monde - il y avait même un pavillon McDonald's -, Bottura, lui, s'est installé dans un faubourg pauvre milanais, dans un ancien théâtre. Et avec l'aide de Caritas, une organisation charitable catholique, il a monté une soupe populaire, le Refettorio Ambrosiano, pour nourrir les démunis. Sa caractéristique : les ingrédients cuisinés provenaient tous de l'Expo, surplus comestibles en route vers la poubelle. Et les chefs aux fourneaux étaient pour la grande majorité de grandes toques du monde entier, amis et collègues du triple étoilé de Modène.

Parmi eux, il y avait David Hertz, un chef activiste brésilien qui s'est dit qu'il allait tenter d'exporter avec l'aide de Bottura le projet dans les favelas de Rio pour les Jeux olympiques. L'idée de la multiplication des pains était lancée.

Donc maintenant, qui sait si Montréal n'aura pas aussi son Refettorio ?

À en juger par l'enthousiasme de Denis Coderre vendredi, on peut être optimiste. « Vous avez fait de moi un meilleur homme », a-t-il dit au chef en prenant le micro à la fin du repas.

En plus de Phoebe Greenberg, la grande mécène qui a tenu à organiser son propre « refettorio », chez elle au Centre Phi, jeudi midi, pour des clients de la Mission Old Brewery, avec l'aide de chefs canadiens et pour montrer la faisabilité du concept, l'autre acteur important dans le portrait est Jean-François Archambault. L'organisateur aux missions sociales formé en gestion hôtelière à l'ITHQ est fondateur et directeur de La tablée des chefs, un organisme à but non lucratif québécois déjà voué à la récupération alimentaire, qui a épaulé le chef italien toute la semaine et qui croit à la possibilité de faire un Refettorio Ambrosiano à Montréal.

Avec des chefs québécois, évidemment, et des invités de partout. Leur rôle, leurs connaissances et leur savoir-faire sont cruciaux, explique-t-il, pour amener la récupération d'ingrédients à un autre niveau gustatif et créatif et pour diffuser le message auprès du grand public.

La tablée des chefs, si vous ne connaissez pas, est cette entreprise d'économie sociale qui récupère les surplus de nourriture prête à manger de plusieurs grands hôtels montréalais, autrement destinés à la poubelle, pour les distribuer directement aux gens dans le besoin. « Nous récupérons près de 200 tonnes de matières organiques comestibles, donc de la nourriture, qui nourrit plus de 400 000 personnes annuellement  », explique-t-il.

Il y a quelques mois, Archambault a réussi à convaincre le grand chef mexicain Enrique Olvera - qui est d'ailleurs venu lui aussi à Montréal la semaine dernière, notamment pour aider à amasser des fonds pour La tablée des chefs - de devenir porte-parole de la nouvelle section mexicaine de l'organisme. Parce que la Tablée est rendue à Mexico depuis deux ans et redistribue là-bas aussi les surplus hôteliers.

Il y a beaucoup de place pour de nouvelles entreprises, d'économie sociale ou pas, liées à la lutte contre le gaspillage et à la redistribution alimentaire. Comme le répète la FAO depuis son cri d'alarme il y a environ cinq ans, quelque 1,3 milliard de tonnes de nourriture sont jetées dans le monde alors que 1 milliard de gens ne mangent pas à leur faim. C'est juste trop.

À suivre.

LE GASPILLAGE ET LA RÉCUPÉRATION EN QUELQUES CHIFFRES  

Selon le groupe de consultants Value Chain Management International, quelque 31 milliards de dollars d'aliments s'en vont à la poubelle chaque année au Canada, un chiffre sous-évalué puisqu'il ne tient pas compte de plusieurs secteurs alimentaires où les données sont inaccessibles. Selon l'organisme, la vraie statistique pourrait monter à 100 milliards.

Dans le monde, le chiffre serait de 990 milliards.

Au Québec, selon la Tablée des chefs, on pourrait récupérer plus de 2000 tonnes de nourriture par année, soit approximativement 4 millions de repas.

Plus de la moitié du gaspillage alimentaire se fait à la maison, entre le frigo et la poubelle.

Au Canada, les ménages gaspillent plus de 14 milliards en nourriture par année. Ceci représente presque 450$ par an, par personne.

Seulement 9 % du gaspillage se fait dans les restaurants, où expertises et obligations d'économies permettent une utilisation plus efficace des aliments.

18 % du gaspillage provient de la transformation alimentaire commerciale.

photo patrick sanfaçon, la presse

Le chef italien et activiste social Massimo Bottura était de passage dans la métropole dans le cadre de C2 Montréal.