« Si j'ai un conseil à donner aux femmes qui veulent se lancer en affaires à 50 ans ? Bien sûr : Faites-le ! lance Martha Stewart. Moi, j'ai écrit mon premier livre alors que j'étais dans la quarantaine et j'ai lancé mon magazine à 50 ans... C'est beaucoup de travail, mais ça a tellement valu la peine. Je suis la preuve qu'on peut le faire ! »

Je suis dans une limousine - louée en toute légalité - par nulle autre que la grande Martha, celle qui a réinventé la façon de parler d'art de vivre il y a 25 ans et qui continue, elle, de se réinventer année après année. Nous venons de quitter la conférence C2 Montréal, où je devais la rencontrer 10 minutes. Mais coincée à cause du temps qui manque, l'entrevue prévue s'est transformée en trajet en voiture en direction de son avion. Avec arrêt chez Vin Papillon parce que Martha veut tout de même goûter à la cuisine montréalaise.

Je me pince. Est-ce bien vrai ?

Non seulement je rencontre une idole, mais elle est franchement gentille et intéressée. Et assises à la terrasse du restaurant de la Petite Bourgogne, nous partageons un éclair aux carottes, une guédille aux asperges et un verre de Sancerre tout en causant affaires, sommeil et voyage en Islande.

Martha Stewart, une des femmes entrepreneures les plus connues dans le monde, qui a bâti une société vendue l'an dernier 355 millions, était la grande invitée vedette de la dernière édition de C2, mais elle n'avait pas de livre, de produit ou de nouvelle émission de télé à mettre de l'avant. « J'étais là pour parler de l'importance de créer, d'avoir des projets », explique-t-elle. Mme Stewart croit qu'elle a plus que jamais un rôle d'éducation et d'encouragement à jouer.

À 74 ans, elle n'a pas pris sa retraite. Et elle prend plaisir à parler entrepreneuriat. Constamment, quand on parle affaires avec elle, elle répète cette phrase comme un leitmotiv. « Do it, do it.  » Faites-le. « Arrêtez d'en parler. Do it... »

Martha Stewart n'était pas destinée à bâtir l'empire qu'elle a créé. Mariée à 19 ans, elle n'est pas allée chercher le diplôme de Stanford dont elle rêvait. « Imaginez, si j'avais pu aller étudier à Stanford, ce qui serait arrivé. Parfois, j'y pense », a-t-elle déclaré jeudi sur la grande scène de C2 où elle était interviewée par Justin Kingsley. Elle a eu une fille, a été mannequin, a brièvement travaillé dans le monde de la finance avant de devenir traiteur. C'est à partir de là qu'elle a commencé à transformer graduellement son savoir-faire en entreprise et à faire d'une combinaison de recettes, de conseils ménagers, de trucs de rénovation et de jardinage l'empire commercial et médiatique qu'on connaît. Chaque gâteau au chocolat préparé par Martha - et testé par mille et un assistants, donc toujours impeccable -, chaque plant de géranium en fleur sont déclinés sur toutes les plateformes possibles.

Mis à part son bref passage en prison pour délit d'initié - un trou noir dans sa vie comme elle n'en souhaite à personne et pas du tout nécessaire pour mieux rebondir, a-t-elle confié à M. Kingsley - et la chute de la valeur de son entreprise ces dernières années, victime de revenus publicitaires décroissant, bref de la crise des médias, sa carrière ressemble à une parfaite histoire de rêve américain.

Magazines Martha, livres, lignes de produits de maison à son nom vendus notamment chez Home Depot et La Baie d'Hudson, émissions de télé, de radio... Martha Stewart a créé la première marque nominative de son secteur. En dehors du monde de la mode et des parfums, on n'avait jamais vu ça avant elle.

Et elle n'arrête pas.

Avec le Martha Stewart Center For Living, à l'hôpital Mount Sinai de New York, Martha s'intéresse maintenant aux personnes âgées et à leur qualité de vie et se demande quand on lancera une application à la Uber pour fournir des services à domicile pour les aînés. Elle apprend à coder pour produire des logiciels - quand elle n'est pas en train d'envoyer des drones faire des photos de sa ferme. Et puis, m'a-t-elle confié entre deux bouchées de céleri-rave à la bagna cauda, elle songe à mettre sur pied une nouvelle ligne de repas en kit, un produit en pleine croissance aux États-Unis, où la société Blue Apron, notamment, fait des affaires d'or. « On y pense sérieusement », répond-elle quand je demande la date du lancement. Ce n'est pas pour tout de suite.

Oh, et Martha organise aussi depuis cinq ans une foire d'artisans qui s'appelle American Made, où elle réunit tout ce qui bouge en fabrication de meubles, de produits alimentaires, de tissus, tant que c'est fait à la main, avec soin, par des entreprises indépendantes. Le but de l'opération est de montrer ce qui se fait, mais aussi d'en parler, façon symposium.

« Il faut que tu viennes », m'a-t-elle lancé. « Bien sûr », ai-je répondu à ma nouvelle amie.

Ce que j'aimerais vraiment voir aussi, pour tout dire, c'est sa ferme à Bedford, où elle fait pousser et élève de façon hyper naturelle à peu près tout ce qu'elle mange.

Parce que Martha a des opinions claires au sujet du secteur agro-industriel américain et elles ne sont pas enthousiastes. « Il faut appuyer le local et le durable », dit-elle. « Posez des questions quand on vous propose de la viande au supermarché. Demandez : "D'où vient cette pauvre vache ?" » Les poissons ? Elle décourage tout le monde d'acheter des produits d'élevage où les saumons « mangent leurs crottes », et même si elle n'est pas totalement contre les OGM, elle croit qu'il faut poser des questions. « Il faut encourager des façons différentes de faire l'agriculture », dit-elle. « Il y a beaucoup de choses laides qui se passent. »

Résultat, elle a des tonnes de verdure qu'elle partage avec sa fille et ces équipes qui continuent d'entourer ses projets. Et elle publiera en septembre un livre uniquement consacré aux légumes.

Martha n'arrête pas.

Quelques ingrédients de la recette en affaires signée Martha

« Arrêtez d'en parler, faites-le ! »

« Bien sûr, la famille doit venir en premier, mais on peut intégrer ça dans le travail. »

« Il faut travailler beaucoup, et moi, pour tout dire, je ne dors pas beaucoup. »

« Pour lancer ma journée, je bois un jus vert naturel tous les matins, avec du gingembre, de la menthe, des concombres, des épinards, de la coriandre... Et il ne faut pas oublier d'aller au gym ! »

« Je suis tellement d'accord avec mon amie de longue date Faith Popcorn. Le marché doit penser plus aux femmes de 45 ans et plus. Et ce sont des femmes qui ont de l'argent et qui le dépensent. Peux-tu croire que l'industrie automobile, par exemple, n'a toujours pas compris ça ? Oui, il y a un marché intéressant, c'est clair, c'est notre clientèle... »

« Oui, il y a des barrières qui empêchent les femmes d'avancer en affaires, mais sais-tu quoi ? Je n'y ai jamais pensé. »