Katrina Naranjo est directrice de projet chez Ultra Electronic Forensic Technology, une entreprise de Côte-Saint-Luc qui détient une expertise reconnue mondialement pour l'analyse électronique balistique.

La série télévisée CSI a d'ailleurs acheté un « faux modèle » de l'appareil conçu par la société du boulevard Cavendish, pour analyser des balles et des cartouches ayant servi à commettre un crime.

Katrina a étudié le génie, elle a deux enfants, elle est en couple et elle fait partie du 20 % de femmes parmi les quelque 240 employés.

Il n'en a pas toujours été ainsi.

Quand Katrina est arrivée chez Forensic, il y a 13 ans, c'était un homme. « Quand je suis revenue des vacances de Noël en 2014, j'étais Katrina. »

Pourquoi Katrina ? Parce que même si elle sait depuis l'âge de 7 ans qu'elle n'était pas née avec la bonne identité biologique, Katrina, qui a aujourd'hui 45 ans, a décidé en 2005 de prendre les mesures médicales nécessaires pour « devenir elle-même ». C'était au moment de l'ouragan Katrina en Louisiane.

Forensic Technology fait partie des plus de 200 entreprises qui ont fait appel depuis une quinzaine d'années aux services de la firme spécialiste en services de ressources humaines Morneau Shepell, dont un des programmes a été conçu spécifiquement pour accompagner les employeurs quand un membre de leurs équipes amorce cette transition.

Au sein de cette société, c'est Michel Arseneault, un diplômé en travail social et spécialiste de la diversité, qui a développé cette expertise avec les années. Il travaille maintenant dans tout le Canada et récemment, il est même allé jusqu'en Corée pour aider une équipe.

« Au début, on travaillait avec peut-être trois ou quatre ou cinq organisations par année, dit-il. Après, on en a eu de plus en plus. »

Au départ, ajoute-t-il, il s'agissait uniquement de transitions de corps d'hommes vers des corps de femmes. Aujourd'hui, même si cela demeure 95 % des cas, il y a aussi de plus en plus de transitions de corps de femmes vers des corps d'hommes.

Le défi dans un bureau, dans une équipe ? « C'est gérer tout cela avec délicatesse », explique M. Arseneault. En dire suffisamment, mais pas trop. Expliquer juste assez. Il est normal, explique Katrina, de laisser aux collègues le temps de digérer le changement. 

« Ça m'a pris 40 ans à m'extérioriser, je ne peux pas leur demander d'absorber ça en un mois. »

- Katrina Naranjo

Environ neuf mois après son retour au travail en femme, plus personne au bureau ne l'appelait par son ancien prénom. « Mais il fallait qu'ils apprennent à vivre sans l'ancienne personne et maintenant avec moi. »

Katrina a d'abord annoncé sa décision de se transformer à sa conjointe, une enseignante, qui a choisi de l'accompagner à travers ce voyage. « Elle m'a dit : "Nous sommes des âmes soeurs."» Puis ce fut le tour des enfants. L'un a avoué sa crainte de voir ses amis rire de cette nouvelle mère. L'autre s'est inquiété d'une chose cruciale : « Vas-tu encore jouer aux autos avec moi ? », raconte Katrina en riant. Puis, ce fut le temps de parler aux patrons en leur présentant un plan détaillant chacune des étapes de transformation. C'est là que l'entreprise a appelé Morneau Shepell pour de l'appui.

Dans ce temps-là, Michel Arseneault rencontre tous les employés de l'entreprise, en petits groupes, pour leur faire une présentation et de la formation, sur une période de deux jours. On démystifie ce qui se produit, qui est cette personne, pourquoi elle choisit de changer, etc.

Pratiquement tout le monde dans l'entourage de Katrina l'a accueillie les bras ouverts, mais ses efforts de communication, d'explication, ont été vastes et nombreux.

Au travail, dans le quartier, avec la famille, les amis, les amis des enfants...

« C'est certain qu'il y a eu des inconforts », explique-t-elle. Mais quand les conférences sur le transgenrisme avaient lieu, au bureau, elle restait chez elle pour laisser de la place à ses collègues. « Je savais quand les formations étaient terminées parce que je recevais des courriels », dit-elle. Des gens saluant son courage, réitérant leur appui.

Chez les collègues, l'acceptation a été plus immédiate du côté des filles, dit-elle. Pourtant, c'est souvent l'idée de côtoyer les autres femmes dans une certaine intimité qui pose les problèmes pratiques en milieu de travail dont on entend le plus parler, explique M. Arseneault.

La question des toilettes se pose, par exemple.

Durant la transition, Katrina allait tout simplement dans une salle de bains neutre, privée, accessible à tous.

« Mais il y a des milieux de travail où les employés doivent se changer, prendre des douches », explique M. Arseneault.

La situation s'est présentée récemment. On a trouvé un compromis. Un rideau pour créer un espace isolé.

« Il faut comprendre que ça prend du temps, que ça heurte les sensibilités », dit Katrina. Il faut être prêt à y faire face. Selon elle, deux facteurs font une différence : le niveau d'éducation du milieu de travail et le ratio hommes-femmes. « Plus c'est égal, plus c'est facile. »

Les hommes collègues parlent moins, dit Katrina. « Ils me donnaient une tape sur l'épaule qui disait "je n'en parlerai pas, mais c'est correct". »

Ce qui a changé ? « Les sujets de conversation dans les corridors. Les gars ont arrêté de me parler de hockey ! », raconte-t-elle en riant. Et les filles lui parlent plus d'enfants, de mode ? Pas nécessairement plus qu'avant. « Parce que ça, explique Katrina, moi ça m'a toujours intéressée. »

Et même sa conjointe le lui a dit un jour. « Moi, j'ai toujours eu l'impression que tu étais une fille. »