On a appris la semaine dernière qu'après plusieurs mois de recherches, le conseil d'administration du Devoir - un journal québécois absolument crucial à qui on souhaite un brillant et prospère avenir - avait finalement trouvé une personne pour succéder à son directeur Bernard Descôteaux.

La nouvelle n'a pas suscité grand débats, mais elle m'a surprise.

Ce qui m'a étonnée, ce n'est pas tant qu'on ait choisi un homme, Brian Myles, dont le CV de reporter est excellent. Ce qui m'a étonnée, ce n'est pas non plus qu'on l'ait choisi, alors qu'il n'a, au premier regard, aucune expérience reliée directement à la gestion ou à la direction d'un journal. Ancien reporter, professeur à l'UQAM depuis quelques mois, il a été président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, mais il n'a jamais été cadre ou éditorialiste.

Ce qui m'a étonnée, c'est que cette nomination ait lieu alors qu'il y avait, vu de mon siège de lectrice, une candidate évidente : Josée Boileau, numéro deux au Devoir depuis 2009, donc rédactrice en chef, ancienne éditorialiste, ancienne directrice de l'information...

Sommes-nous une fois de plus, me suis-je donc demandé, devant un cas de « plafond de verre », ce toit invisible mais bien présent et hermétique, qui stoppe les femmes aux ambitions de grimper encore un peu plus haut dans leur entreprise ?

Joint au téléphone, Jean Lamarre, président du conseil d'administration, m'a assuré que des femmes avaient été pressenties, que Josée Boileau avait elle-même retiré sa candidature, que tout avait été fait dans le plus strict respect de l'égalité des chances. « Il y a une grosse marche entre le poste de numéro deux et de numéro un », a-t-il ensuite ajouté.

Personne n'en doute. Mais en quoi n'est-elle pas encore plus énorme quand on n'a même jamais été numéro deux ?

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Peut-être que ceux qui ont géré le processus d'embauche dans ce cas particulier n'ont absolument rien à se reprocher et sont totalement engagés envers l'égalité.

Mais nous sommes en 2016, et, comme le dirait Justin Trudeau, il y a des choses qui sont maintenant évidentes et incontournables. Et parmi celles-là, il y a la nécessité pour les entreprises de rendre des comptes en ce qui a trait aux questions touchant l'embauche égalitaire, surtout quand les apparences sont accablantes.

Leurs clientes - et bien des clients, j'en suis sûre - veulent savoir. Et veulent dire aux directions des sociétés : « Vu de l'extérieur, on a l'impression qu'une femme méritait ce poste plus que la personne embauchée. Fournissez-nous des explications. »

Parce que les partisans de l'égalité ne rêvent pas. Il y a des injustices, il y a des aberrations, il y a bel et bien du sexisme, des opinions biaisées et des iniquités, visibles ou invisibles, conscientes ou inconscientes. Parlons-en si on veut progresser. Posons des questions.

« Les faits le montrent, les femmes, même si elles sont plus éduquées, accèdent peu aux postes de gestion supérieurs », affirme Anne-Marie Hubert, qui dirige le bureau montréalais de la maison EY, l'ancienne Ernst & Young.

« Il y a un biais de société », dit-elle, un biais partagé autant par les femmes que par les hommes, qui fait que quand vient le temps d'évaluer les candidatures, on examinera le CV de la femme en fonction de ce qui lui manque et celui de l'homme en fonction de ce qu'il apporte. Un court CV masculin deviendra aisément perçu comme rempli de potentiel tandis qu'un long CV de femme sera malheureusement incomplet malgré tout.

Les attitudes sont évaluées différemment. Par les hommes qui cherchent trop souvent, consciemment ou inconsciemment, à aller chercher des gens comme eux. Et par les femmes qui ont intégré, souvent sans s'en rendre compte, trop de doutes face à leurs compétences et leur potentiel.

Évidemment, je vous entends rappeler que les femmes ont fait du progrès depuis 50 ans. Elles sont de plus de plus présentes à la tête des entreprises, dans les écoles, dans les ministères, etc. Oui, le verre était presque vide au siècle dernier et le voilà un peu plein et c'est super de ne pas oublier que le verre est un peu plein, parce que c'est une amélioration, blablabla...

Mais voilà, il n'est pas aussi plein qu'il le devrait.

Selon des données colligées par l'organisme Catalyst, les femmes occupent moins du tiers des postes de haute direction des entreprises au Canada, il y a seulement une femme à la tête d'une entreprise du TSX 60 - l'indice qui regroupe les 60 plus grosses entreprises cotées en Bourse -, et les femmes occupent à peine plus de 20 % des sièges au conseil d'administration des entreprises publiques.

Et ce n'est pas une coïncidence.

Les femmes ne se voient pas assez souvent comme des leaders, n'ont pas la confiance en elles nécessaire. Et trop souvent, quand elles ont envie d'avoir des promotions, quand elles se sentent capables de relever de nouveaux défis, on ne leur offre pas ces possibilités. Le fameux « confidence gap » entre hommes et femmes existe. Mais il n'y a pas que ça. Il y a aussi des terrains inhospitaliers, de la discrimination dont on n'ose pas assez souvent parler.

Posons donc au moins quelques questions. Après tout, on est en 2016.