Mattel, la société américaine qui produit et commercialise les poupées Barbie, s'est confiée au magazine Time avec une nouvelle qui aurait pu se résumer simplement ainsi: nous essayons d'arriver finalement au XXIe siècle.

La Barbie, a-t-on déclaré à l'hebdomadaire américain, se vendra maintenant en quatre formats différents, avec une gamme étendue de couleurs de peau et de cheveux.

L'entreprise, qui a vu les ventes de ses poupées iconiques chuter de 16 % de 2013 à 2014 - dernier chiffre disponible - , veut relancer le produit, le moderniser, dépoussiérer tous les préjugés de bombe siliconée qui y sont associés. La Barbie, inventée en 1959, un mot devenu synonyme de modèle corporel féminin irréel, sera maintenant offerte avec des « courbes ». Il y aura aussi une « petite » et une « grande », en plus du format classique qu'on pourrait qualifier de « filiforme avec extra seins ».

Pour cette marque qui vend l'équivalent d'un milliard de dollars US en poupées dans 150 pays, c'est un changement marqué.

Mattel essaie depuis un moment déjà de convaincre les enfants et leurs parents que son jouet n'est pas aussi ringard qu'on le dit. En 2014, la société a lancé une nouvelle identité pour sa marque, en affirmant, campagne de publicité et initiatives sur les réseaux sociaux à l'appui, qu'avec Barbie, « tout est possible ». Et il est maintenant loin, le temps où la poupée n'avait pas grand-chose à faire dans la vie, avec ses yeux surdimensionnés et ses bras cure-dents, sinon changer de tenue et se brosser les cheveux (longs et généralement blonds).

Au fil des années, Barbie est devenue médecin, pilote d'avion dans l'armée, dentiste...

L'automne dernier, la marque a lancé une pub qui est devenue virale en mettant en scène de vraies petites filles propulsées dans des situations de grandes personnes dans des métiers qu'on veut non traditionnels. L'une est l'entraîneuse d'une équipe adulte de soccer masculin, une autre prof de science à l'université, tandis qu'une troisième est assise à l'aéroport avec son téléphone cellulaire à raconter ses succès en affaires. On a l'impression que l'expérience a été filmée avec une caméra cachée, façon documentaire. C'est charmant, jusqu'à ce qu'on nous annonce que grâce à Barbie, nos filles peuvent tout envisager dans la vie.

La marche, entre vous et moi, est un peu haute à franchir. Barbie convaincrait nos filles de devenir astronautes? Prix Nobel de chimie? Présidentes des États-Unis?

La simple lecture du rapport annuel de Mattel montre à quel point l'entreprise a du chemin à faire pour comprendre la réalité du monde actuel: on y parle encore de jouets pour garçons et pour filles, de « roues » et de « poupées », alors qu'une des réalités criantes du monde actuel, celui de 2016, est l'explosion des genres.

Non seulement les enfants grandissent dans un monde où les femmes ne ressemblent pas à Barbie, mais leurs références mêmes sur ce qui est attendu des hommes et des femmes sont en mutation. Pas besoin d'avoir un doctorat en analyse des tendances pour le comprendre. Il suffit de vivre en 2016, de regarder autour de soi, de donner son billet de bus une fois de temps en temps à une chauffeuse et de savoir qui est Caitlyn Jenner.

Admettre que les femmes ne ressemblent pas toutes à la Barbie classique est un pas que Mattel aurait dû franchir il y a longtemps. Le vrai défi, maintenant, serait plutôt d'utiliser la technologie pour permettre aux enfants - pas juste les filles, parce qu'on est en 2016 - de décliner leurs poupées, leurs jouets, selon leur compréhension hyper variée de qui sont les gens significatifs et inspirants autour d'eux.

Dans un monde où les jeux vidéo comme Minecraft - un succès planétaire dans le marché des enfants en âge de jouer à Barbie - permettent aux jeunes de réinventer le monde, comment pense-t-on les faire rêver avec des personnages en plastique aussi limités?

Le buzz autour de la nouvelle Barbie arrondie permettra peut-être à Mattel de faire un coup de marketing et de doper ses ventes à court terme, mais à long terme, est-ce vraiment là qu'il faut aller?

En multipliant les formats, on multiplie aussi les besoins en vêtements, chaussures et autres accessoires microscopiques, ce qui pourra peut-être là aussi augmenter les ventes. Bravo pour la nouvelle couche d'exaspération ainsi créée chez les consommateurs.

Les parents de demain sont des milléniaux, des jeunes qui ont grandi dans un monde beaucoup plus ouvert à la diversité que celui de leurs grands-parents, la génération de la naissance de Barbie. Ils ont joué aux blocs Lego version alpha, avant que ceux-ci ne s'enferment dans certains stéréotypes bleus et roses. Ils ont regardé Passe-Partout et Sesame Street et se sont fait expliquer que les humains venaient dans toutes sortes de formats et apparences, mais qu'ils étaient foncièrement égaux. Le mariage gai ne les étonne plus et pour eux, l'uniformité raciale, culturelle, sexuelle ne fait plus partie de la normalité.

Pour leur vendre encore pendant des années des millions et des millions de Barbie, chers amis de chez Mattel, il va falloir être un petit peu plus créatif.