Daniel, Suzanne, Marie-Pier et Virginie ne savent pas pour qui ils voteront lundi.

Agriculteur, fromagère, bachelière en agronomie, photographe... Durant la campagne électorale, ils n'ont entendu aucun discours qui les allume sur leur avenir dans leur rang près du Richelieu, sur l'avenir de leur ferme familiale, sur l'importance du terroir, de la vie rurale aux yeux des dirigeants fédéraux.

«Tout ce qu'on peut vous dire, lance Daniel, assis à la table de sa cuisine en buvant une tasse de café au lait cru, c'est pour qui on ne va pas voter. Ça, c'est clair!»

À côté, dans l'étable, ses Suisses brunes ruminent doucement. À ce temps-ci de l'année, les pâturages ne goûtent plus grand-chose. Elles préfèrent se mettre à l'abri.

Installés à Saint-Jean-sur-Richelieu depuis plusieurs générations, Daniel Gosselin et Suzanne Dufresne sont des producteurs de fromages de lait cru.

Le Gré des champs, le d'Iberville, le Monnoir, c'est eux. Avec leur troupeau d'une trentaine de vaches laitières nourries bio, ils produisent près de 15 tonnes de fromage par an. On les retrouve un peu partout, dans les fromageries québécoises, en commençant par la leur, dans un secteur jadis appelé Saint-Athanase d'Iberville, où ils écoulent 30% de leur production.

«Nos clients viennent nous voir. Où ailleurs peuvent-ils voir des vaches, montrer une vraie ferme à leurs enfants? Ce sont eux qui nous donnent une raison de continuer. Ils ont peur de nous perdre. C'est notre meilleure motivation.»

La maison Au Gré des champs est en pleine forme. Marie-Pier, la fille aînée de Suzanne et Daniel, qui a étudié en agronomie à l'université, se prépare à prendre la relève. Avec son père, elle fait des croisements de vaches pour redonner à ses bêtes les caractéristiques perdues au gré des changements génétiques poussés par l'industrialisation du secteur laitier.

Elle cherche des qualités qui permettront aux bêtes de produire le lait naturel idéal pour les fromages que sa mère Suzanne, qui sillonne la France pour apprendre son art, ne cesse de mettre au point.

Ce que la famille Gosselin-Dufresne craint, toutefois, au lendemain de la signature du Partenariat transpacifique (PTP) et de l'entente commerciale avec l'Union européenne, c'est une polarisation de l'agroalimentaire qui ne laissera de place que pour les géants ou les microentreprises de niche.

«Y aura-t-il encore une place pour les fermes moyennes? Je ne crois pas», dit Marie-Pier.

Et ça, elle aimerait que les politiques en campagne électorale en discutent un peu plus, comme ils devraient parler beaucoup plus, au fédéral comme au provincial, de l'avenir qu'ils veulent pour ces fermes, ces gens, ces communautés fermières qui nous nourrissent tous. Vous a-t-on rappelé récemment que le lait, comme les tomates ou le steak haché, vient d'une ferme, quelque part? Que les ententes commerciales comme le PTP touchent ces fermiers, leurs revenus, leurs espoirs et pourraient transformer nos paysages, nos balades à la campagne, notre qualité de vie à nous aussi si elles empêchent notre patrimoine agricole de prospérer, voire de survivre?

On dit souvent des agriculteurs qu'ils devraient juste mieux s'adapter, réagir aux changements.

Le problème, explique Marie-Pier, c'est la structure rigide du secteur agricole au Québec. Régi par les règles parfois discutables du ministère de l'Agriculture, encadré par des quotas fédéraux, supervisé par les balises de l'Union des producteurs agricoles, ce secteur n'a pas assez de marge de manoeuvre pour réellement se diversifier, se réinventer, croit la jeune agricultrice. Les entreprises peuvent donc difficilement se préparer à la concurrence des autres pays.

«On ouvre les marchés, mais on n'est pas prêts. Le système des quotas est trop rigide. Il empêche le dynamisme, décourage les jeunes entrepreneurs», explique-t-elle.

«C'est un système archaïque, ajoute Daniel Gosselin. Par exemple, chaque mois, je dois vendre mon lait [à la Fédération des producteurs de lait du Québec] et le racheter pour 1000$ de plus.»

«Et ça, même s'il reste toujours ici», ajoute sa fille Virginie, photographe, qui vient de cosigner avec sa soeur Au Gré des champs, un magnifique ouvrage sur la ferme familiale.

Ces 1000$, Daniel préférerait les réinvestir dans une nouvelle grange...

La justification de cette pratique? Grosso modo, le lait de tous les producteurs est mis en commun virtuellement pour que tous s'entraident, le temps venu de faire de la mise en marché et de gérer prix et revenus en cas de surplus. Le lait est ensuite remis à la disposition des transformateurs, comme les fromagers.

«Pourtant, nous, on n'en a pas, de surplus, dit Suzanne. Et on fait notre propre mise en marché.»

La fromagère croit que le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec ne brille pas non plus par son modernisme ou sa rapidité d'adaptation...

Mais lundi, c'est pour un gouvernement fédéral qu'il faut voter, et les quatre électeurs autour de la table ne savent pas pour qui pencher. «Si j'écoutais mon coeur, je dirais Vert, lance Daniel Gosselin. Mais lundi, il va falloir être stratégique.»