Après une pause de 10 ans, le concours Commerce Design Montréal est revenu. Lundi dernier, on a ainsi découvert quels étaient les 20 commerces montréalais les plus intéressants pour leur aménagement, et sur la liste, quatre étaient l'oeuvre du même designer, Zébulon Perron.

Si vous êtes allés au bar Furco au centre-ville, à la boulangerie Hofkelsten sur Saint-Laurent à l'orée du Mile End, au bar Rosemont bien dans l'est ou chez Impasto dans la Petite Italie, vous connaissez son travail. Mais il y a aussi La Buvette chez Simone, le bar à vins Rouge Gorge, les restaurants Lea, Grinder, Parvis et Gema, le bar Philémon dans le Vieux-Montréal, le Boating Club à Sainte-Rose et d'autres.

Zébulon Perron est pas mal partout.

Je le rencontre chez Impasto, le restaurant de Stefano Faita - et du chef Michele Forgione -, l' un de ceux qui lui ont valu un prix. On scrute rapidement le décor. « Moi, je trippe sur le terrazzo, lance-t-il en contemplant le plancher, alors on n'y a surtout pas touché. T'enlèves pas ça ! Ce serait un crime de couvrir ça. On a un devoir de préservation. »

Presque toujours dans ses décors, il y a des éléments anciens originaux, du « vintage » recyclé qu'on pourrait croire tendance, mais son style se veut d'abord et avant tout intemporel, à l'extérieur des modes, ancré dans la réalité du quartier, de Montréal, de la restauration et évidemment, des restaurateurs.

« Les modes je les vois passer, je m'en méfie. Un restaurant, il faut que ça dure longtemps. »

Son idole ? Luc Laporte, l'architecte qui a forgé une certaine identité architecturale montréalaise, en aménageant des espaces comme le célèbre restaurant L'Express, le Laloux, la Société des arts technologiques. « Luc Laporte est une des personnes qui m'a donné envie de faire ça dans la vie, explique le designer de 42 ans, et jusqu'à ce jour, je pleure la disparition du Lux. »

Le Lux, c'était cet espace multifonctionnel totalement avant-gardiste du boulevard Saint-Laurent où on pouvait manger, prendre un verre, feuilleter des revues, faire un peu d'épicerie...

Quand je lui explique que j'ai entendu son nom pour la première fois en allant à la Buvette chez Simone, il y a quelques années maintenant, il me répond que ce fut, en fait, son premier projet solo. Avant ça, il avait travaillé notamment au Plan B, le bar de l'avenue du Mont-Royal, et au Continental, version post-incendie. Mais la Buvette a été le lancement de son agence. Un premier pas qui a ouvert la voie notamment à deux autres projets avec les mêmes propriétaires - Furco et Parvis - et tous les autres. « Ce dont je suis fier, c'est que tous les projets auxquels on a participé ont été des succès commerciaux, dit-il. Ça veut dire que les gens s'approprient vraiment nos espaces. »

Il ne veut pas que je le cite parce qu'il se trouve cliché, mais selon Perron, les restaurants sont les espaces où « bat le coeur de la ville ». Là où on se retrouve, où on partage, où on se parle. Ce sont les aménagements qui l'intéressent le plus, car ils sont tournés vers des gens qui se rencontrent ; leur but est de créer de nouveaux espaces publics. Le résidentiel ne l'intéresse pas. Les salons de coiffure ? « On ne me l'a jamais proposé. »

Des projets plein la tête

Son projet de rêve serait l'aménagement d'un parc, d'un square où les citadins trouveraient leur place, les familles, les enfants, les amoureux...

Actuellement, il travaille plutôt sur un troisième projet avec Faita et sur le nouveau restaurant du chef Charles-Antoine Crête, sur la Plaza St-Hubert.

Zébulon est un Montréalais dans l'âme. Il a grandi sur le Plateau et dans le Mile End.

Quand je lui demande pourquoi ses parents l'ont appelé Zébulon, il répond « parce qu'ils étaient des hippies ! » Sa mère est thérapeute New Age et son père, pianiste de jazz. Ils ont envoyé leur fils à Face, une école alternative de l'époque avec un programme artistique. Adolescent rebelle, Zébulon a demandé d'aller dans une école privée traditionnelle stricte, un pensionnat, mais il a enduré le tout seulement un an. Aujourd'hui, sa fille de 6 ans va elle aussi dans une école alternative...

Au départ, Perron voulait devenir architecte, mais après des études en design à Concordia et à l'UQAM, il s'est « réfugié vers l'aménagement intérieur » pour avoir plus de contrôle sur l'espace, être moins en butte aux limites imposées par les lois, les règlements, l'ingénierie. Aujourd'hui, il aimerait toutefois retourner à sa façon vers l'extérieur. Il rêve de refaire des stations de métro. Il se demande pourquoi ici il n'y a jamais de buvettes dans les parcs comme en Europe.

Lorsque je lui demande ce qu'il ferait avec le chalet du Mont-Royal, il me répond qu'il ne le sait pas encore. Que cet immense espace est un lieu en quête d'auteur. Il voit mal comment cela pourrait devenir un restaurant : « trop difficile d'accès ». Mais il n'accepte pas qu'on n'en fasse rien. « Même la grande place en face du chalet, avec la vue, pourquoi c'est si vide ? »

Le designer, qui est allé en mission de design au Danemark, en est revenu avec toutes sortes de questions. 

« Pourquoi on ne voit pas l'aménagement de qualité comme un investissement ? Les gens ne voient pas assez les avantages économiques à faire de tels choix. »

En plus, demande-t-il, pourquoi dépense-t-on tant pour démolir et rebâtir, alors qu'on pourrait faire plus avec moins en utilisant le patrimoine qu'on a déjà ? « Tout n'a pas besoin d'être nouveau. » Et tout n'a pas besoin de coûter cher non plus. « Regardez Hofkelsten, on n'avait vraiment pas un gros budget et on a gagné. »

« Le design ce n'est pas un luxe ni une lubie, ajoute Perron. Ici on voit ça comme du superflu, mais la vérité c'est que, comme le dit l'expression anglaise, « Build it and they will come. »

Faisons de grandes choses et le public suivra.

En bref

• Zébulon Perron

• Designer d'intérieur

• A fait son cours à Concordia et ensuite à l'UQAM.

• Quatre des commerces qu'il a aménagés ont été primés dans le cadre du concours Commerce Design Montréal: le bar Furco, la boulangerie Hofkelstein, le bar Rosemont et le restaurant Impasto.

• Premier projet solo: La Buvette chez Simone.

• A grandi à Montréal. Son père était pianiste de jazz et jouait notamment au bar du restaurant Abacus, rue McKay, dont l'aménagement était très avant-gardiste.

• Admirateur inconditionnel de l'architecture de Luc Laporte, qui a marqué le paysage bâti montréalais avec des commerces comme L'Express, Arthur Quentin, le Valois, le Laloux, mais aussi la Société des arts technologiques et les bureaux de BosDentsu.

• S'ennuie du Lux et du Sam.

• Facteur crucial de l'aménagement de tout restaurant: l'éclairage.

• Aimerait aménager une station de métro ou une place publique.