Aimez-vous vos «lignes»? Quand j'ai vu cette question posée, en anglais, pour la première fois sur les réseaux sociaux, j'ai cru qu'on me demandait si j'aimais mes rides, question à laquelle j'étais prête à répondre, en toute honnêteté, plus un «bof, bof» assumé qu'un «ouiiii» délirant.

Et puis, en me penchant sur le sujet, je me suis rendu compte que tout l'exercice d'appréciation personnelle concernant les «lignes» parlait en fait de stretch lines, un sujet un peu plus pointu, encore plus délicat, surtout beaucoup plus tabou.

Les stretch lines, c'est ce qu'on appelle en français des vergetures, ces lignes blanchâtres ou violacées que laissent sur notre corps les fluctuations de volume, qu'elles soient causées par les grossesses, les traitements nécessaires pour certaines maladies - on pense aux effets de la cortisone, par exemple - ou les prises et pertes de poids. Même ceux qui font beaucoup de musculation puis perdent du volume en muscle peuvent en avoir. Elles sont généralement placées précisément là où nos sentiments pour notre corps sont les plus fragiles: les cuisses, le ventre, les fesses... Mais elles peuvent être n'importe où.

Ces lignes ne sont pas des témoins corporels d'égarements moraux, des signes de faiblesse ou d'excès ou d'absence de volonté, messages cachés que tant de discours sur la forme finissent par véhiculer.

Une femme n'a pas de telles «lignes» parce qu'«elle ne prend pas soin d'elle», mais parce que la vie, parfois, cause ça. Point à la ligne.

Je parle de femmes, mais les hommes aussi ont de telles vergetures parce qu'eux aussi ont des changements de poids et compagnie. Sauf que même si les hommes sont de plus en plus touchés par les mêmes obsessions que les femmes en tout ce qui touche l'apparence physique, si on se faisait un sondage ici, maintenant, pour savoir qui est le plus complexé par ces «lignes», je suis convaincue que les femmes seraient grandement majoritaires. Leurs particularités corporelles les obsèdent vraiment. Ces vergetures, elles les détestent, les cachent, essaient de les oublier, les taisent, rêvent de les faire disparaître - parlez-en aux inventeurs du «tankini», le bikini qui cache le ventre....

(Et en plus, en français, le mot «vergeture», particulièrement inélégant, clinique, pâteux, sans la moindre poésie, rend le problème encore pire. Le synonyme «strie» n'est guère mieux. Au moins, «ligne» fait un peu décoratif...)

C'est pour essayer de passer par dessus cette gêne au sujet des vergetures - assumons ce mot - que deux mamans américaines ont décidé récemment de lancer un compte Instagram où on célèbre les «lignes».

Il s'appelle loveyourlines et on y trouve de tout.

Des photos magnifiques. Des photos ordinaires. Peu de visages. Surtout la réalité, étalée en noir et blanc. Des photos de vergetures de toutes les sortes, sur toutes les parties du corps. Un plongeon dans le vrai.

https://instagram.com/loveyourlines/

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On dit beaucoup que les réseaux sociaux et leur culture du «selfie» encouragent le narcissisme et la propagation de critères de beauté irréalistes. C'est vrai. Pour un compte loveyourlines qui cumule quelque 123 000 abonnés, combien de blogueuses de mode filiformes à la peau et aux cheveux impeccables, savamment vêtues, perpétuent les images de «perfection» uniformes jadis véhiculées uniquement par les magazines? Et leurs comptes à elles totalisent carrément des millions d'abonnés.

Mais au moins, il y a une diversité qui se crée grâce aux réseaux sociaux. Et il y a maintenant des outils numériques pour dire autre chose, pour tenir un discours différent que le blond, le mince, le lisse, le caucasien, qu'on nous sert depuis des décennies.

Et ce qui ressort de certaines des photos de loveyourlines, c'est à quel point bien des femmes réussissent à réellement embrasser cette diversité, en commençant par leurs «lignes».

Certes, certaines des photos sont plus provocantes, plus d'approche «crevons cet abcès» émotionnel, choquons, forçons-nous à regarder ce qu'on ne veut pas voir.

Mais beaucoup d'autres sont gentilles, aimantes, zen, carrément esthétiquement agréables, charmantes et cherchent très positivement à montrer que ces lignes peuvent décorer le corps, de la même façon que les tatouages, voire les scarifications.

Dans un monde où on n'hésite plus à transformer nos corps de telles façons, pourquoi rejetterait-on le travail de la nature?

Les tigresses ont des rayures.

Parfois, nous aussi.