Il y a autant de raisons de courir que de coureurs.

Et chaque coureur n'a jamais une seule raison de courir.

Courir pour sa santé cardiaque, courir pour perdre du poids, courir pour être meilleur dans un autre sport, courir pour se dépasser et gagner des courses... Courir pour se sentir moins moche, plus alerte, moins lourd, plus détendu...

Courir pour fuir la réalité et y revenir ensuite un peu plus zen...

Mais la course n'est pas qu'un exercice solitaire, nombriliste.

Il y a quelque chose dans la course qui, au-delà du bien-être dopé aux endorphines qu'elle procure très personnellement, très individuellement, nous permet d'aller chercher une autre sorte de contentement, par son rôle de connecteur.

La course ajoute à nos vies un autre dénominateur commun capable de franchir les frontières, de rassembler, elle peut être la clé ouvrant la porte à une communauté qui n'est pas la famille, ni les amis, ni les collègues, même si ces entités se recoupent souvent. La course, comme le soccer et d'autres sports, peut, si on le choisit, nous inscrire dans une collectivité qui se comprend sans se connaître.

Avez-vous déjà remarqué comment les joggeurs qui se croisent se saluent même s'ils ne se sont jamais rencontrés auparavant? En ville, cette tradition se perd, tristement. Mais elle a toujours existé.

La course est politique, si on revient aux racines grecques anciennes du mot. La course nous inscrit ensemble dans l'espace public. On y partage l'envie d'occuper cette place en bougeant, on y est à la fois citoyens et êtres éminemment incarnés, plantés au sol.

Lorsqu'on quitte tous ensemble une ligne de départ dans le cadre d'une course organisée, il y a une magie d'une force bouleversante.

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Imaginez comment se sentiront les quelque 3100 coureurs qui partiront tous ensemble vendredi matin au marathon de Palestine, qui se tient maintenant chaque année en Cisjordanie, autour de Bethléem.

On en frissonne juste d'y penser, même s'il risque de faire dans les 30 degrés là-bas...

Parmi eux, il y aura Issa Ba'besh, 23 ans.

Résidant de Bethléem, vendeur pour une société de télécommunications, joueur de foot de longue date, Issa en sera à son troisième marathon.

Issa a eu la piqûre quand deux Danois connaissant bien la Palestine, Signe Fischer et Laerke Hein, se sont associés à des coureurs palestiniens pour lancer une organisation et un événement qui ferait la promotion de la liberté de circulation, un droit garanti dans la charte des droits de l'homme des Nations unies mais mis à l'épreuve dans ce morceau du globe.

Le Right to Movement a organisé sa première série de courses - marathon, 21 km, 10 km, etc. - en Cisjordanie en 2013. Issa y était et il sera donc encore à la ligne de départ vendredi.

«Il risque de faire pas mal chaud», confie-t-il au téléphone, alors qu'il termine sa journée de travail et se prépare à faire un pénultième entraînement avec son groupe de course. «Mais je vise sous la barre des quatre heures.»

Diala Isid, architecte de Ramallah de 25 ans, organisatrice de l'événement, compte faire son demi, le 21 km, en 2 h 15. «C'est un parcours difficile», explique-t-elle. Il y a des côtes ardues notamment. Les auteurs du parcours doivent travailler avec ce qu'ils ont. Et c'est peu d'espace sans contrôles routiers.

En 2013, 687 personnes ont pris part officiellement à la course (des dizaines, voire des centaines de gens courent sans être inscrits).

Il y a eu presque 3000 inscriptions provenant d'une quarantaine de pays en 2014. Et cette année, on prévoit quelque 3100 coureurs officiellement engagés. Les Israéliens, qui ont pu courir le marathon de Jérusalem, le 13 mars, n'ont pas le droit d'y participer notamment parce qu'ils n'ont pas le droit d'aller dans ce territoire. Les Palestiniens n'ont pas le droit de participer au marathon de Jérusalem. La course connecte les uns et les autres avec le reste du monde. Mais pas entre eux.

Quand je lui ai demandé pourquoi il courait, Issa a rapidement mentionné l'aspect politique de la course. «J'aime cet événement, j'aime son message, j'aime que des gens viennent ici voir la Palestine autrement», dit-il.

«Les coureurs vont voir que nous sommes des gens simples, qui aimons la vie.»

«Ils verront la réalité, pas la propagande.»

La course est constituée de deux boucles de 21,1 km. Le départ a lieu en face de l'église de la Nativité, à Bethléem, sur la place de la Mangeoire, puis le parcours traverse deux camps de réfugiés, longe le fameux mur... «Les coureurs, eux, vont voir ça de leurs propres yeux», dit Issa.

Right to Movement a comme slogan: «On court pour raconter une autre histoire.»

Les déplacements font partie des défis principaux des Palestiniens qui peuvent difficilement aller d'une ville à l'autre et voient constamment leurs déplacements contrôlés, explique Diala Isid. Cartes d'identité, permis et compagnie font partie de l'attirail nécessaire pour la moindre excursion.

«Nous n'arrivons même pas à trouver un chemin libre pour les 42 km d'un marathon. Quand on s'entraîne, on court sur les mêmes bouts de chemin, dont bien des côtes, aller-retour. Ça ne change pas beaucoup. On veut pouvoir circuler plus. C'est pour ça qu'on organise cette course.»