Mariouche Gagné aime l'hiver. Elle aime le froid, la neige, le plein air, la culture hivernale.

«Ouais, je suis probablement la seule cette semaine à Montréal!», lance-t-elle en riant, jetant un regard à travers la grande fenêtre du restaurant Satay Brothers, où nous sommes aux premières loges pour admirer la poudrerie.

Est-ce à cause de son entreprise, Harricana, que Mariouche aime cette saison, ou est-ce plutôt l'amour du froid et de la neige qui l'a, consciemment ou non, orientée vers le travail de la fourrure?

Allez savoir.

On est en plein mois de février et Mariouche, contrairement à 95% des Montréalais, ne rouspète pas.

«Moi, ça m'aide tellement quand il fait froid, c'est fou», lance-t-elle entre quelques brocolis chinois et un «bun» au porc fondant à la sauce hoisin.

Pourquoi?

«Parce qu'il ne reste aucun bon vêtement pour l'hiver dans les autres magasins, parce que les gens ont froid, parce qu'ils sont tannés du froid, parce qu'ils veulent avoir chaud et se faire plaisir.» Alors ils se rendent dans sa boutique de la rue Saint-Antoine ou partout ailleurs où ses produits sont vendus, chez Simons notamment, et ils achètent sa fourrure. Selon la designer, qui a fondé l'entreprise Harricana il y a maintenant près de 20 ans, il arrive un moment dans la saison froide où la tuque bon marché achetée dans une grande chaîne à la mode ne fait plus le boulot. Le matériau hyper chaud et résistant qu'est la peau s'impose.

Mais pas n'importe laquelle.

Harricana travaille uniquement avec de la fourrure recyclée. Mariouche n'utilise que les vieux manteaux récupérés partout et utilise les peaux en bon état pour en faire des mitaines, des toques, des écharpes, des pantoufles et même des manteaux et blousons reconstruits... Avant même que la récupération et l'environnement ne soient bien en haut de la liste de nos priorités comme consommateurs, elle arpentait les marchés aux puces pour y trouver sa matière première.

Aujourd'hui, sa réputation n'est plus à faire. Elle vend ses produits outre-mer, aux États-Unis, partout au Canada. L'expansion de sa clientèle en Europe a été à la fois une formidable occasion et une réalité difficile à gérer. Quand la crise financière a frappé, les clients qui dévoraient ses produits «éco-luxe» chez Colette, à Paris, ou dans les belles boutiques de produits de ski de luxe de Méribel ou Cervinia, en passant par Courchevel, Davos ou Gstaad (bref, pas mal tous les grands domaines skiables chics européens où ont été tournées des scènes de James Bond), se sont faits plus rares. «Même les problèmes politiques concernant la Russie nous font mal», explique-t-elle. Les clients russes, ceux de cette nouvelle classe aux portefeuilles bien garnis, se sont mis à délaisser les stations de France, pays perçu comme hostile dans la crise avec l'Ukraine.

L'entreprise québécoise a donc dû amorcer un repli dont elle poursuit la mise en oeuvre. Du personnel a été mis à pied, le bâtiment qui abrite l'atelier-boutique de la rue Saint-Antoine, à deux pas du marché Atwater, est à vendre, la quête d'un nouveau partenaire stratégique est lancée, la boutique de Québec n'a pas renouvelé son bail.

«On réorganise», résume-t-elle, expliquant qu'elle veut maintenant séparer la boutique de l'atelier et localiser la vente au détail dans un secteur où il y a beaucoup de passage piétonnier, comme le Vieux-Montréal. Elle a un oeil sur un ou deux locaux...

«C'était tellement pas cher, quand on a acheté l'immeuble, qu'on a tout mis ici, dit-elle de son bâtiment de Saint-Henri. Et ça nous a permis d'apprendre à gérer la vente directe aux clients tout en travaillant à la production et à la gestion. Mais là, on est prêts pour autre chose.»

Et entre-temps, Mariouche se réjouit du froid, de la prise de conscience nécessaire qu'il engendre sur la façon de nous habiller en hiver.

Elle en a long à dire sur la nécessité de bien acheter nos vêtements pour le froid. «Un manteau, on porte ça tous les jours», dit-elle en martelant chaque mot. Comment ne pas vouloir investir pour qu'il nous rende heureux et nous garde bien au chaud? «Achetez moins, achetez bien», dit-elle. Transférez votre argent aux entreprises qui fonctionnent au Québec. «Moi, 100% de ce que les gens me donnent», dit-elle, s'en va dans l'économie québécoise. «Ce ne sont pas des esclaves qui fabriquent mes produits.»

Une renaissance

D'ailleurs, elle se réjouit de la renaissance du secteur de la fabrication du vêtement à Montréal. Elle a vu apparaître de nouveaux ateliers de tricot et des ateliers de tissu. La hausse du dollar américain fait augmenter les prix de la fabrication en Chine, note-t-elle, et la relocalisation dans d'autres pays asiatiques comme le Bangladesh n'apporte pas tous les avantages financiers attendus. «Il y a une réorganisation du monde manufacturier», note-t-elle. «Observez ce qui se passe à Montréal.» Un rêve? Qu'on arrête de parler de «guenille». Qu'on retrouve la noblesse du travail dans la fabrication de vêtements. «J'ai rencontré des artisanes en Italie qui tissaient le lin et qui disaient: «Je travaille dans la mode.» J'aimerais tellement qu'on acquière cette fierté.»

Et qu'on réfléchisse davantage en faisant son shopping.

Selon elle, le secteur de l'alimentation a bien réussi à sensibiliser le consommateur à la valeur économique, écologique, morale et sociale de l'achat local. «Mais pour le vêtement, on n'est pas vraiment éduqués», résume-t-elle, avant de souligner les coûts humains exorbitants des vêtements bon marché.

Le défi que doit relever la consommation équitable dans le vêtement, poursuit-elle, c'est de faire passer aux clients la notion de «fun». C'est de proposer une offre qui ne tombe pas dans les stéréotypes grano, hippie qui collent à la «slow fashion». «Et c'est vrai que souvent, la mode éthique est plate!», avoue-t-elle en riant.

Mariouche Gagné

• Née en 1971 à Loretteville

• Mère de deux enfants

• A étudié le design au Collège LaSalle

• Fonde Harricana, marque de produits de fourrure recyclée qu'elle dessine, en 1997

• A commencé à travailler avec de la fourrure recyclée dans le cadre d'un concours de création où elle s'est retrouvée à court de fourrure neuve et a décidé d'utiliser un vieux manteau de sa mère.

• Vend ses produits de la Russie aux États-Unis, en passant par les stations de ski huppées du monde entier

• Estime que près de un million de bêtes ont été sauvées grâce à la récupération de centaines de tonnes de fourrure depuis la création de l'entreprise

• A dessiné une collection spéciale pour la marque française Rossignol