Depuis quelque temps, le gouvernement libéral multiplie les mesures pour lutter, dit-il, contre la déroute des finances publiques.

Vu d'ici, on dirait surtout qu'il coupe dans le muscle, tous azimuts, en se fichant des répercussions sociales des mesures proposées.

On dirait un gouvernement de scientifiques qui voient la société comme une équation de valeurs fixes, un ensemble immuable, statique, où il est aisé de faire des coupes au bistouri puisque rien ne bouge.

Or, la société n'est pas comme ça.

La société n'est pas un patient anesthésié sur qui on peut faire des ponctions chirurgicales en espérant que la cicatrisation ne fasse pas trop mal.

Le monde n'a rien de figé.

Couper, quand on est au pouvoir, c'est comme s'installer dans un train sur un chemin cahoteux pour opérer un patient en mouvement, qui est lui-même à la course et va dans tous les sens, à la fois imprévisible et hautement organisé. Un patient doté d'une résilience hors du commun, certes, mais néanmoins sujet aux complications.

Un exemple, qui touche la garde des enfants. Comment le gouvernement veut-il que les parents sachent comment organiser la garde de leurs enfants s'ils ne savent pas combien cela va coûter? Car avec le nouveau système, le prix devient flou. Tout dépend du revenu gagné. Si vous êtes de ceux qui n'ont pas un revenu fixe, donc dont le revenu dépend de contrats accumulés durant l'année, sans certitude au départ, ou alors si vous êtes du genre à avoir un bonus, le prix du service de garde en fin d'année devient un grand point d'interrogation.

La réalité n'est pas un cas médical.

C'est un cas social.

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Prenez ce que le projet de loi dit sur la couverture des traitements de fertilité.

On dirait que le document a été écrit avec une seule idée en tête: bloquer les fraudeurs et abuseurs que sont, vous l'aurez deviné, les parents qui veulent des enfants mais n'y parviennent pas naturellement.

Toutes les autres subtilités de la vie qui mènent à cette nécessité? On n'en parle pas.

Le projet est taillé à la hache.

Vouloir un deuxième enfant? Abus. Vouloir un enfant après 42 ans? Abus. Vouloir plonger directement dans le traitement in vitro après des années de tentatives naturelles vaines ? Abus. Il faudra d'abord prouver qu'il y a eu relations sexuelles!

Nulle part on ne parle de programmes de prévention des ITS et autres mesures pour aider la prévention de l'infertilité. Nulle part on ne parle de la réalité sociale qui explique, précède, entoure la question de la fertilité.

Québec intervient avec un scalpel. Sans aucune empathie pour le patient.

Sans aucun signe qu'il comprend non seulement la réalité émotionnelle de ceux qui y ont recours - on n'en demande pas tant -, mais au moins le contexte historique, sociomédical, économique.

Vous savez que, aux États-Unis, certaines entreprises couvrent les traitements de fertilité avec leurs programmes d'assurance privée, notamment la congélation d'ovules, pour lutter contre cette épée de Damoclès qu'est l'horloge biologique.

Je crois qu'il y a d'autres moyens d'aider les femmes à poursuivre une carrière tout en ayant des enfants, mais cela montre à quel point l'accès à cette aide médicale fait partie des éléments de la vaste équation qu'est la conciliation travail-famille à l'heure de l'égalité et de la modernité.

C'est bien plus qu'un poste de dépenses.

Et on ne peut pas reculer parce que la technologie existe, est disponible. Les médecins de Québec sont bien placés pour le savoir.

Dernière chose: pourquoi le Dr Barrette, un coup parti, n'est-il pas contre la couverture de l'IVG, de la ligature des trompes, de la vasectomie, ou alors des stimulants ovariens et autres interventions chirurgicales pour anomalies de l'utérus ou des trompes qui permettent de rétablir la fertilité?

Serait-ce parce que la réflexion à Québec est strictement comptable et surtout pas basée sur la nécessité d'encadrer éthiquement les traitements de fertilité? Pourtant, on devrait le faire.

On veut amputer l'excès plutôt que chercher à comprendre le patient pour qu'il se porte mieux.

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Grâce aux politiques de Lucien Bouchard, de Jean Charest et de Pauline Marois, notamment, le Québec était devenu une société très progressiste pour les familles et on commençait à bénéficier de mesures visant à encourager la conciliation travail-famille avec, notamment, une augmentation des revenus des mères les plus vulnérables.

Les hommes d'âge mûr qui dirigent la colline à Québec pourraient-ils venir nous expliquer où ils s'en vont et nous rassurer, nous donner de bonnes raisons de ne pas croire qu'ils n'ont aucune sensibilité pour la réalité de jeunes familles avec qui ils n'ont plus grand-chose en commun?