Je ne sais pas si vous avez vu passer ça cette semaine : une invitation du magazine français Paris Match à voter pour la plus belle star « ronde » de l'année.

Juste en voyant le titre, on trouve ça un peu énervant, parce qu'on aimerait ne plus voir les gens classifiés ainsi.

Et puis, on lit le texte en question et on réalise qu'une des vedettes pour laquelle on peut voter est nulle autre que Kate Winslet. Oui, la belle Britannique héroïne de Titanic, celle qui a gagné l'Oscar de la meilleure actrice en 2009 pour The Reader.

Kate Winslet, selon Paris Match, est une « ronde ».

Une ronde que le magazine place sur la même liste que d'autres actrices connues que les médecins qualifieraient, dans ces cas-là, de personnes souffrant d'obésité.

« Si Kate Winslet est ronde, je suis quoi ? », m'a demandé une lectrice en voyant ça.

Effectivement. Si Kate Winslet n'est pas juste normale, qui l'est ?

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Si c'était le temps de lancer une autre campagne dans les réseaux sociaux, je partirais #débiliténondénoncée.

J'en ferais une sorte de bestiaire de tous les messages qu'on reçoit, comme ça, jour après jour, année après année, pour nous dire qu'on n'est pas à la hauteur, pas normalement belles. Qu'on n'est pas ce qu'il faudrait être.

Sur cette liste de #débiliténondénoncée il y aurait évidemment ce concours sur les « rondes ». Mais il y aurait aussi des tas d'autres petits messages qu'on reçoit chaque jour par dizaines, pour ne pas dire par centaines.

Il y aurait par exemple l'affiche publicitaire de jeans qui prend un mur presque entier près de chez moi. Ce mur est réservé par cette marque que je n'ai plus du tout envie d'acheter précisément parce que sur ce mur, saison après saison, c'est toujours la même chose qu'on nous sert, toujours le même modèle de femme, toujours les mêmes poses lascives, toujours la même suggestion que pour séduire il faut avoir l'air de ça, avec une face de Marie-couche-toi-là.

Croyez-vous vraiment, publicitaires, que la stratégie « prendre les femmes pour des abruties » fonctionne ?

Sur la liste #débiliténondénoncée, il y aurait des tas de messages publicitaires qui nous prennent pour des quiches, pour reprendre l'expression préférée du magazine français Causette. Le produit machin qui stoppe le vieillissement de la peau ou refait pousser les cheveux ou fait fondre les kilos. D'abord on nous dit qu'on n'est pas ce qu'il faut et ensuite on nous propose une solution douteuse pour y arriver...

C'est absurde.

Si on écrivait la liste de tous les moments de la journée, du matin jusqu'au soir, où on est confronté à un message se résumant à « tu n'es pas ce que tu devrais être », elle serait d'une longueur affolante.

De la boîte de céréales, aux pubs, aux affiches de bars sexy dans les artères de banlieue, aux messages dans les médias, les débilités sont partout. Saviez-vous qu'un animateur de radio de Québec a récemment été suspendu pour une journée parce qu'il avait dit que les femmes étaient faites pour le ménage et que les hommes pratiquant les tâches ménagères étaient soit sans couille, soit gais...

Cette débilité-là n'a pas été tolérée par l'employeur, mais combien le sont ?

Et c'est sans parler de tous les messages directs ou indirects qu'on nous envoie ensuite, le soir subtilement à la télé ou au cinéma, où on nous présente des images uniformes, strictes, presque réglementées de ce qu'on devrait être... Ça n'arrête pas.

On n'est jamais assez minces, assez lisses, assez attirantes, assez jeunes.

Il faudrait filmer une femme dans son quotidien pendant plusieurs heures, comme l'ont fait les gens de l'organisme américain Hollaback à Manhattan. Sauf qu'au lieu de filmer à quel point elle se fait siffler et harceler en marchant dans la rue en ville, on filmerait le nombre de fois où elle est confrontée à un message remettant en cause ce qu'elle est.

On serait tous sidérés, j'en suis certaine.

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Quand je lis des médias affirmer que Kate Winslet ou Christina Hendricks - la spectaculaire Joan de Mad Men - sont « rondes », ce qui sous-entend pas exactement comme elles devraient être, je suis découragée et je me demande comment il est possible qu'après tant d'années d'explications féministes et de campagnes à la Dove sur l'acceptation et la diversité corporelle, on en soit encore là.

Et puis je vois le succès retentissant et l'affection, l'admiration que porte le public pour des personnages comme l'actrice et réalisatrice Lena Dunham ou la chanteuse Beyoncé, ou l'animatrice Oprah ou la chanteuse Adele, et je me réjouis en me disant que l'obsession pour l'uniformité perd du terrain.

Les problèmes liés à l'impact nocif des images sont loin d'être réglés. Les troubles alimentaires sont présents partout et pas juste chez les adolescentes, de plus en plus chez les adultes. Et de nouveaux problèmes apparaissent, notamment du côté des hommes. Saviez-vous que la pornographie est tellement déconnectée de la réalité qu'une nouvelle génération de jeunes hommes qui en ont trop consommé sur internet est maintenant confrontée à un problème médicalement documenté de dysfonction érectile lié directement à leurs perceptions détraquées par la fiction ?

Mais malgré tout ça, on avance.

Il n'y a pas de campagne #débiliténondénoncée mais il y a actuellement une campagne appelée #ordinarysexism sur les réseaux sociaux, où les femmes donnent des exemples quotidiens du sexisme auquel elles sont confrontées.

La vidéo de Hollaback documentant le harcèlement dont une femme est l'objet en marchant simplement dans les rues de Manhattan est devenue virale, vue des millions et des millions de fois.

Et partout, on parle de ce sujet.

La semaine prochaine - les 9 et 10 décembre - Télé-Québec diffusera Beauté fatale, le nouveau documentaire de la jeune Léa Clermont-Dion, l'auteure de La revanche des moches. Et ce sont ces thèmes qu'elle explore, comme elle l'a fait dans son livre, comme le fait depuis maintenant plusieurs années cette jeune femme qui a souffert d'anorexie et qui a instauré avec Jacinthe Veillette, la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée.

Je vais le regarder, c'est clair. Avec toute la famille.

Photo tirée du site de Paris Match

Kate Winslet, Beth Ditto, Christina Hendricks et Melissa McCarthy.